mercredi 12 décembre 2012

The Cure - Boys Don't Cry

En 1979, propulsé par deux singles (Boys Don't Cry et Killing An Arab), le groupe Cure sort son premier album Three Imaginary Boys. A la façon des Beatles qui publièrent des versions américaines différentes des versions anglaises, the Cure propose une version américaine sous le nom Boys Don't Cry, incluant les deux singles, ce que ne faisait pas la version anglaise (et supprimant malheureusement quelques titres comme une reprise plutôt marrante de Foxy Lady). L'album sort en 1980 et se trouve être une des pierres angulaires de la décennie qui s'ouvre à peine.

Critique de l'album

Quatre chansons font plus de 3 minutes, toutes sont rythmées avec une urgence affolante. Pas de doute, le mouvement punk est passé par là. Il ne se retrouve peut-être pas dans l'album, mais pour autant, Boys Don't Cry est bien une œuvre de post-punk, et rentre de plein pied dans ce qui deviendra la new-wave. Ce qui fait la différence avec le reste du monde? Une voix et une interprétation inimitables. Robert Smith semble en permanence être outragé par le monde qui l'entoure, comme un gros foutage de gueule auquel se mêlerait une forme exacerbée de romantisme (au sens littéraire et littéral du terme). Visiblement inspiré par le punk anglais, il ne serait pas étonnant que Robert Smith et ses potes aient aussi beaucoup écouté Marquee Moon, pour en tirer l'essence nerveuse tout en gardant une pointe de spleen.
Car tout n'est pas qu'énervement, même si certains morceaux comme Plastic Passion ou Jumping Someone Else's Train sont en plein dans le punk, il y a aussi des divagations de l'âme, avec notamment 10:15 Saturday Night, chanson qui semble avoir été intégralement écrite avec une basse dans la main. Et puis, bien sûr, il faut aborder les deux singles. Il y a Killing An Arab, chanson écrite en hommage à l'Etranger de Camus, avec son introduction en guitares toutes orientalisantes, son chant superbe, limite provoc (la chansons sera malheureusement reprise par des groupuscules racistes), mais d'une puissance incroyable. Boys Don't Cry est une chanson qui n'a mystérieusement pris aucune ride, complètement intemporelle, en parfaite adéquation avec les états d'âme de tous les jeunes hommes du Monde, les Cure semblent être complètement à leur aise dans ce titre, qui reste un titre-phare de leur carrière: le riff de guitare qui tue, la batterie en soutien, le chant à l'avenant, tout est là.
Mais pour autant ces 4 chansons (qu'on retrouve dans la plupart des best-of du groupe) ne doivent pas effacer d'autres titres aussi excellents que Accuracy, Fire In Cairo ou Three Imaginary Boys. D'une manière globale, tout l'album est excellent de toute façon. Et si les chansons évoquent déjà plusieurs styles (par la suite, Cure ne cessera pas de changer de style), l'album a pourtant une vraie sonorité, une identité propre. La production est plutôt minimaliste, et il semble que des groupes actuels comme xx ou Placebo soient amplement allés piocher dedans, mais elle met merveilleusement en avant les talents de compositeur de Robert Smith.

Critique de l'album

Pour ceux qui voudraient découvrir the Cure, ceux qui seraient effrayés par la trilogie qui suivra (Seventeen Seconds, Faith, Pornography, mais vous y viendrez), ceux qui ont une image plus datée du groupe (quelle erreur! le son est sans doute parfois un peu daté, mais les albums restent incroyables), ceux qui pensent que les Cure sont une bande de gothiques (force est de reconnaitre que niveau esthétique, ils étaient pas toujours bien loin, mais musicalement, rien à voir), Boys Don't Cry offre une porte d'entrée parfaite et rêvée. Un album que je ne peux que recommander à tous, quels que soient vos goûts musicaux, car les Cure ont su travailler les atmosphères autant que les chansons, et ce n'est finalement pas tant le format qui compte mais les sensations qui se dégagent de l'ensemble.

mardi 11 décembre 2012

Eels - Electro-Shock Blues

En 1996, Eels se dévoile comme un groupe talentueux, porté par un single imparable: Novocaine for the soul. L'album qui s'ensuit est d'une très belle facture, parfaitement dans l'air du temps, très rock, avec des ajouts électro, soul, bidouillages et autres plaisirs à la Beck. En 98, Mr E revient avec Electro-Shock Blues, utilisant des recettes assez similaires, mais en allant beaucoup plus loin.

Critique de l'album

Beaucoup plus personnel, E sort d'une période de deuil et a vu ses proches affronter la maladie, en tant qu'artiste, il ne pouvait pas se priver de relater ces événements. D'où des titres aussi joyeux que Elisabeth on the Bathroom Floor, Cancer for the Cure ou Going to your Funeral, aux paroles déprimantes à souhait, mais la musique renvoie en permanence une image plutôt colorée, si bien que l'ensemble forme un tout extrêmement ironique. C'est un des sentiments les plus forts transcrits dans l'album: l'ironie de la vie. Certains noteront qu'un des meilleurs albums des années 2000 a aussi été marqué par le deuil, je parle bien sûr d'Arcade Fire. Sujet vaste, qui confronte chacun à la disparition de l'autre et à sa propre disparition, et qui semble inspiré les artistes avec une force et une conviction incroyable.
Au cours des années 90, un petit génie, branleur de formation, a transformé la musique, apportant ses connaissances folk et appliquant les rythmiques hip-hop, Beck a décloisonné la musique du début de cette décennie, donnant des ailes à d'autres, dont Eels, profondément pop-folk, plutôt orienté ballades (Ant Farm, country-folk), qui a lâché les productions classiques pour faire des chansons qui ne sont qu'à lui, avec des ajouts de jazz (Hospital Food), de trip-hop (Efil's God) ou d'instrumentation plus classique (PS You Rock My World, superbe façon de conclure l'album). Et puis, il y a la construction des morceaux, comme Last Stop This Town (sans doute la meilleure chanson de l'album), qui commence comme une ballade au clavecin, avant de prendre des tournures inattendues, à coup de rythmique hip-hop, de yeah!, de voix angéliques et de guitares saturées. Et le pire, c'est que la sauce prend super bien.
Et puis, il y a la voix de Mark Oliver Everett, joliment déchirée, comme si le bonhomme faisait partie d'un groupe de hard, mais qui trouve parfaitement sa place dans cet univers pop. Elle ajoute la touche grunge, qui sied tant à l'époque, et qui fait part de l'énervement de l'artiste face à la mort. Mais elle sait aussi se faire sensible et émouvoir quand il faut, comme sur Climbing To The Moon, véritable morceau à la Beatles, où E montre qu'il n'est pas John Lennon ou Paul McCartney vocalement, mais il met tellement ses tripes dans la chanson qu'on ne peut qu'adhérer à son propos.

Critique de l'album

Bref un album qui n'a pas pris une ride, et qui s'écoute encore aujourd'hui avec un plaisir mêlé de tristesse, une grande mélancolie en somme, en se disant qu'on a peut-être à faire avec un des meilleurs albums pondus pendant la décennie 90s (et pourtant ils furent nombreux), qui n'a pas à rougir (mais à rosir quand même) à côté de Homogenic et autres OK Computer. Par la suite, Eels continuera à sortir de bien beaux albums, aux sonorités variées, mais aucun ne mêle avec autant de bonheur volonté d'innover et sincérité.

mercredi 21 novembre 2012

The Smiths - The Queen Is Dead

The Queen Is Dead fait partie de ses albums qui ressortent dans tous les top 50 des meilleurs albums de tous les temps (ou au moins de ces 30 dernières années), et qu'on écoute la première fois avec une oreille polie, mais soyons honnêtes, un peu désintéressée. Quelque chose à la première écoute fixe l'album dans les années 80 de manière incompressible. Pourtant des années après avoir découvert l'album, il ne quitte pas les oreilles.

Critique de l'album

Car oui, les batteries reverb à ne plus en pouvoir sont sans doute un peu too much, mais le sens de la mélodie développé par Morrissey et Johnny Marr est tout bonnement imparable. Bien sûr très rapidement, ce sont Bigmouths strike again et There is a light that never goes out qui donnent une folle envie de réécouter l'album en boucle. Et puis passé le premier effet "rythmique des années 80", on s'attache folllement à cet album.
D'abord il y a le jeu de guitare de Marr. Un jeu inimitable mais amplement pillé par les groupes des années 2000, dont notamment un certain Radiohead qui s'en inspirera pour l'incroyablement mélodique In Rainbows. Il suffit de réécouter Vicar in a tutu ou Cemetary gates pour s'en convaincre. Sur des rythmiques assez improbables (Vicar in a tutu sonne presque country), Johnny Marr semble en état de grâce, dans un instantané de pure pop.
Et puis, surtout il y a l'interprétation de Morrissey, cette espèce de voix de crooner complètement à l'aise dans la pop. Cette élégance naturelle frappante doublée d'une nonchalance percutante, et cette sincérité complètement désarmante, ces éléments poussent à être touchés par les chansons, jusqu'à ce qu'on ne puisse se défaire de I know it´s over, sans doute une des meilleures chansons jamais écrites. Rarement on a entendu une telle maturité dans une voix aussi jeune, et rarement autant de jeunesse a été apportée dans la sagesse. Au final, ce ne sont pas que un ou deux titres qu'on a envie de réécouter, mais bien l'intégralité de l'album qu'on se passe en boucle, de la reprise de chanson folklorique du début au mantra Some girls de la fin.

Critique de l'album

On finit même par complètement apprécier les batteries, qui étaient sans doute le plus gros point faible pour mes oreilles d'ado des années 90. Bref, un album qui vaut le coup qu'on s'y attache (comme le reste de la discographie du groupe d'ailleurs) et qu'on y porte une attention plus grande que le simple plaisir pop qu'il peut procurer à la première écoute, car il y a tellement de sincérité et de vérité à chaque chanson qu'on ne peut que finir, comme beaucoup, par admettre qu'il s'agit d'une des plus belles choses produites ces 30 dernières années. I can feel the soil falling over my head

lundi 12 novembre 2012

Franz Ferdinand - Franz Ferdinand


Véritable phénomène lors de sa sortie en 2004, raflant tous les prix outre-Manche, s'attirant les louanges des critiques, diffusé sur toutes les radios (sur un spectre allant de Couleur 3 à Fun Radio), l'album Franz Ferdinand était sur toutes les langues, et surtout dans toutes les jambes. Une réussite qui aurait pu être énervante, mais comme il est impossible de bouder son plaisir, je me suis moi aussi laissé aller à adorer le groupe. Qu'en reste-t-il 8 ans plus tard?

Critique de l'album

Ce qui est frappant à l'écoute de ce premier album, c'est l'immédiateté des chansons. Il ne faut pas plus d'une ou deux écoutes pour que tous les refrains de l'album rentrent dans la tête de l'auditeur. Et je dis bien TOUS les refrains. Chaque chanson est un hit potentiel, une machine à plaisir et à faire danser en puissance. En écoutant l'album, on se rend compte que le groupe écossais a su tirer partie de tout ce que le pop-rock anglais a su faire d'énergique (the Kinks, the Who, the Clash...), y a ajouté une énorme influence Talking Heads (en moins sec, la touche anglaise aidant), et en a tiré un son propre à lui.
Car si les refrains sont immédiats, c'est aussi la construction des morceaux et la rythmique associée qui frappe l'auditeur autant à la tête qu'aux jambes. Il suffit d'avoir écouté une fois Take Me Out pour se rendre compte que cette chanson peut rendre dingue. Après une introduction sur un rythme incisif, la chanson est comme interrompue par une cession rythmique en complète césure. Mais c'est avec cette césure et le riff qui suit que se lance véritablement la chanson. Il suffit que la guitare débute pour avoir envie de se lever et de danser. Bien sûr en 2004, on a énormément dansé sur Franz Ferdinand, et en 2012, on a tendance à moins écouter l'album. Mais il suffit de relancer n'importe quel morceau de l'album pour qu'au bout de 30 secondes on souhaite se lever et se remettre à danser en hurlant les refrains (faites attention, vous avez vieilli, votre corps vous le rappellera).
Car même si en une petite décennie la face du rock dansant a été entièrement redéfinie (via de nombreux groupes talentueux de rock-électro comme !!!, LCD Soundsystem ou les Hot Chips), le rock de Franz Ferdinand reste encore bougrement d'actualité, il vieillit étrangement peu, peut-être parce que la production a su ne pas s'appuyer sur des effets de style qui finissent par dater les choses, peut-être parce que tout semble avoir été composé avec une urgence qui se transmet de génération en génération, avec une sincérité que n'a pas altérée la célébrité, et sûrement parce que les chansons sont tout simplement bonnes.

Critique de l'album

Alors non, ce n'est sûrement pas l'album que vous écoutez aujourd'hui tous les jours, mais oui, il y a fort à parier que, si vous remettez le disque sur la platine, vous serez repris dans le rythme, et qu'abandonnant toute résistance vous vous retrouverez bientôt à danser sur Dark of the Matinée et autres This Fire.

mardi 2 octobre 2012

Alain Bashung - Fantaisie Militaire

Alors bon forcément, s'attaquer à un tel monument, ce n'est pas chose aisée. Ce n'est pas tous les jours qu'on se met à parler de ce qui est tout simplement le meilleur album de chanson française. Enfin, peut-on simplement parler de chanson française quand on parle de Bashung?

Critique de l'album

En 1998, ça fait 21 ans que Bashung a sorti son premier disque. Pour toute une génération, dont je suis, Bashung est l'immortel interprète de Vertiges de l'amour, Gaby! et de l'inénarrable Osez Joséphine. Pour toute une génération, cet homme se résumait à une collection de chansons, sans que les albums soient vraiment connus (dommage qui sera réparé par la suite). Et puis, survient La nuit je mens. Dès la première écoute, c'est une claque assurée. Et comme Sommes-Nous (le deuxième single) est du même niveau, il fut incontournable de se ruer sur l'album. Collection de chansons? Non, véritable album avec un son à part entière. Construction parfaite. Entre textes surréalistes et musiques variées, on se laisse complètement emporter, guidé par l'interprétation de mister Bashung.
La musique de l'album ressemble à celle qui soutient les meilleurs moments de la chanson française, avec notamment des arrangements de cordes dignes de ceux de Melody Nelson (pas moins), mais Bashung ajoute aussi une très grande touche de modernité. Il ajoute des guitares rock (sur le titre Fantaisie militaire), des atmosphères quasi-trip-hop (écoutez 2043) comme en atteste la présence d'Adrian Utley, guitariste de Portishead, des constructions de morceaux complexes (avec Mes prisons),  bref, il ne laisse pas l'album sombrer dans une routine. Ainsi, à chaque écoute, c'est comme une nouvelle jeunesse. Les cordes de La nuit je mens sont toujours aussi prenantes, la montée de Fantaisie militaire est toujours aussi forte et la rythmique de Samuel Hall est toujours aussi moderne. Les textes vont de paire avec la musique. Extrêmement poétiques, avec une haute dose de surréalisme, Jean Fauque s'en est donné à cœur joie, et arrive à toucher l'auditeur, en le laissant libre de trouver sa propre signification. En écoutant Fantaisie Militaire, on devient presque acteur de l'album. Et ce d'autant plus que les textes s'attaquent aux cinq sens de l'auditeur, allant jusqu'à être palpables.
Mais ce qui est le plus fort, c'est bien sûr l'interprétation d'Alain Bashung. Il fallait être lui, et uniquement lui, pour pouvoir mettre en chanson ces textes, et les lier à la musique. Seul lui a cette capacité de paraitre tour à tour nonchalant, déchirant, enjoué, classe ou émouvant. Seul lui peut sortir d'une voix quasi-nasillarde une si belle interprétation, aussi juste. Il joue avec les mots avec une délectation évidente, laisse trainer les silences ou accélère le tempo, de façon à trouver le ton le plus juste. Surréalistes, les textes auraient pu tourner au ridicule s'ils avaient été évoqués par un autre, alors qu'ils sont là parfaitement mis en valeur.

Critique de l'album

Musiques, textes, interprétations, rarement ces trois éléments auront été autant cohérents dans un album de chanson française. 14 ans après, on réécoute l'album sans nostalgie, le son n'étant pas daté, en savourant l'éternelle jeunesse qui s'en dégage. Un goût de vie qui submerge l'auditeur et invite au voyage imaginaire. Simplement. Superbe.

mardi 25 septembre 2012

Beth Gibbons & Rustin Man - Out Of Season

En 2002, quand débarque cet objet, ça fait 8 ans qu'on écoute Dummy en boucle et 4 ans qu'on attend une suite au Live de Roseland. Bref, Portishead a envahi nos oreilles et n'en sort plus, tant le groupe fascine, par son inventivité musicale, mais aussi et surtout par la grâce de la voix de la chanteuse Beth Gibbons. Et la voilà en échappée (presque) solo, dans un style pas vraiment trip-hop. Mais éloignée de Portishead? Peut-être pas.

Critique de l'album

Disons-le tout de suite, il n'y a pas dans cet album qu'elle sort en nom commun avec Rustin Man (en réalité, Paul Webb de Talk Talk) d'inventivité musicale du niveau de Portishead, et on est à 100 000 lieues de la new-wave des Talk Talk. Globalement, l'album est une sorte de folk délicieusement arrangée à renforts de cordes et de cuivres, avec une grâce absolument ahurissante, même après des années d'écoute. Mais si le style est différent, la façon de chanter reste la même
Beth Gibbons n'est pas objectivement une des plus belles voix de tous les temps, elle n'est pas une diva, elle n'a pas une technique incroyable, elle n'a pas la profondeur des chanteuses soul à la Aretha, mais subjectivement, j'ai très envie de dire qu'elle a la plus belle voix de tous les temps. Un peu comme Brel dans un registre différent, elle a telle conviction, une telle honnêteté dans sa façon de chanter qu'on a envie d'y croire et qu'on se laisse porter. La voix se fait tour à tour frêle, dominatrice, nasillarde, soul, pop ou folk, mais quelque soit le choix, elle est juste. Elle colle à chaque fois à merveille aux titres. qu'il s'agisse de Mysteries et sa superbe déclaration d'amour à la vie (est-ce qu'une chanson a déjà plus évoqué un lever de soleil?) ou de Resolve et sa mélancolie, la voix de Beth Gibbons s'adapte à merveille.
Ajoutons à cela des mélodies impeccables et vous avez un mélange de chansons qui vient se graver ad vitam aeternam dans votre tête. Mysteries est d'un optimisme rarement entendu, Tom the Model vient apporter des montées sublimes, Show incroyablement envoutante, Romance s'ouvre comme s'ouvrirait du Nina Simone (à laquelle on pense pas mal dans la façon de chanter), Sand River toute en légèreté, Spider Monkey étourdit, Resolve sonne comme du Nick Drake au féminin (Nick Drake, influence indéniable de l'album), Drake nous plonge dans un cabaret jazz, Funny Time Of Year est une des plus belles chansons jamais interprétées, Rustin Man vient simplement fermer l'album. Le côté chanteuse de jazz qu'on pressentait sur les albums de Portishead ressort ici à merveille. Et certains arrangements ne sont pas sans évoquer le live à Roseland (où Portishead était accompagné d'un orchestre philharmonique). Notamment sur Funny Time Of Year, il y a, dans la construction du morceau et dans le paroxysme qu'il atteint, un petit quelque chose qui n'est pas sans évoquer Glory Box. Dans les morceaux les plus mélancoliques, il y a quelque chose de Only You ou de Roads. La présence d'Adrian Utley (un des trois membres du groupe) sur une bonne partie des morceaux n'y est peut-être pas pour rien. Finalement, Beth Gibbons a fait du Portishead acoustique et finit l'album loin du folk qui a dirigé tout l'album avec une plage ambiante, preuve que l'expérimental, elle l'a dans la peau.

Critique de l'album

Un bien bel album en somme qu'on réécoutera volontiers à l'arrivée de l'automne, tant il cadre avec cette saison, belle mais avec ses intempéries, tout en douceur apparente, mais avec des touches de violence par instants. 10 ans après, cet album procure toujours le même plaisir renouvelé.

vendredi 21 septembre 2012

Herbie Hancock - Fat Albert Rotunda

Herbie Hancock est un grand claviériste jazz. Je n'utilise volontairement pas le mot de pianiste, car il est surtout connu pour son utilisation très réussie et très novatrice des synthétiseurs, il n'est pas Bill Evans, quoi. Jazzman d'origine, il doit sans doute à Miles Davis, avec lequel il a beaucoup travaillé, de s'ouvrir sur d'autres formes musicales (plus tard, il nommera un de ces morceaux Sly, en hommage à mister Stone). Et quand on le retrouve sur ce Fat Albert Rotunda, en 1969, force est de reconnaitre que le jazz n'est pas vraiment le style musical qui transparait le plus.

Critique de l'album

En effet, dès les premières notes, dès le premier riff de guitare, et par le biais de la section rythmique, la musique de Fat Albert fait plus penser à une sorte de soul groovy ou de R&B funky qu'à du jazz. Visiblement inspiré par James Brown et consorts, Hancock livre ici un album qui n'aurait pas dépareillé en fond sonore d'un flim de Blaxpoitation. Quelques mois après cet album, Curtis Mayfield sortira son premier album solo (le très beau et simplement nommé Curtis), qui a une ambiance relativement comparable. Comme si ces albums étaient les captures d'une certaine forme de musique à un moment donné. Toute personne un tant soit peu intéressée par le funk et la soul devrait écouter (et posséder Fat Albert Rotunda), fut-elle ou non connaisseur de jazz. Les rythmes sont enlevés, les mélodies aisément reconnaissables et le tout se grave durablement dans la mémoire de l'auditeur qui quitte l'album avec des airs plein la tête.
Wiggle-Waggle ouvre l'album avec une trompette jazz, écoutez bien, ce sont pour ainsi dire les seules 5 secondes de jazz de l'album. Dès que la guitare entame son riff bouclé, la musique part dans le funk, soutenu par une section cuivre impeccable et une rythmique très dansante. Pendant ce temps, Hancock propose de faire une démonstration de son délicieux toucher de synthé, léger, rythmé, avec un son qui est la touche soul du titre. Le solo eut-il été joué sur une guitare électrique qu'il aurait passé pour du pur rock. Et ce titre est représentatif de ce qui suit, avec Fat Mama, construit sur le même schéma, qui trotte dans la mémoire auditive plus longtemps qu'on ne l'imagine, le titre est parfait. Par la suite, l'album livrera dans ce genre les titres Oh!Oh! Here He Comes et le morceau-titre (et un des piliers de l'abum) Fat Albert Rotunda. Le morceau de clôture Lil' Brother montre une ouverture d'esprit importante, avec la guitare syncopée, les cuivres plus jazzy-funk, le tout couvert de guitares wah-wah, et toujours le même piano joliment rythmé.
L'album est entrecoupé par deux ballades. Jessica, pas spécialement le meilleur moment, même si le morceau n'est pas désagréable et permet à l'auditeur de reprendre son souffle entre deux morceaux plus rythmés. Mais le meilleur moment reste Tell Me A Bedtime Story, titre d'une évidence rare, langoureux, superbe et qu'on pourrait écouter en boucle. Ce que fit sans doute d'ailleurs Quincy Jones, qui repris le morceau quelques années plus tard dans une version un peu plus groovy qui sied assez bien au morceau. Ce titre est un vrai moment de fraicheur au milieu de morceaux plus enflammés.

Critique de l'album

Fat Albert Rotunda est un très bon album, un peu daté, mais c'est justement ce cachet qui fait son intérêt, sans doute pas le plus recherché de Herbie (HeadHunters et Thrust ne sont pas encore sortis). Il fait partie de ces albums qu'on oublie de temps en temps, et qu'on retrouve avec un plaisir toujours renouvelé.

mercredi 19 septembre 2012

Radiohead - Live @ Santa Barbara Bowl 2008

Un live de Radiohead est toujours un bonheur pour un fan des Oxfordiens. Mais le nombre de bootlegs aux qualités douteuses sont légion sur le net. Le site de la radio publique américaine propose, dans son excellente section musique, des lives de bonne qualité (ainsi que des avant-premières et autres bonheurs), dont certains sont téléchargeables. Dont ce live de plus de 2 heures.

Critique de l'album

Et on serait bien sots de ne pas en profiter. Le live date de 2008, et retrouve donc Radiohead dans sa période In Rainbows. Sans doute sa meilleure période pour ce qui est des lives. En effet, toujours doués sur scène, à l'époque In Rainbows, le groupe dispose d'un répertoire large et très divers, qu'il a entièrement retravaillé pour donner une cohérence au tout. Et quel plaisir de retrouver dans la setlist des titres allant de The Bends à In Rainbows (la même année, le groupe jouera même, pour la première fois depuis des années, Creep), là où aujourd'hui le répertoire live s'est considérablement restreint. Toutes les chansons sont donc passées à la moulinette In Rainbows, c'est-à-dire qu'une grosse palette de couleurs s'est emparée des chansons pour les rendre plus lumineuses. Chaque titre semble en bénéficier, notamment les titres de la période Kid Amnesiac, dont la puissance live a toujours été indéniable, qui semblent moins sombres, et révèlent (en plus de leurs complexités) des aspects pop qui leur vont sacrément bien.
Ouverture sur Reckoner pour baigner dans In Rainbows en toute tranquillité, et soudainement Optimistic. A partir de ce moment-là, le groupe peut faire ce qu'il veut, la foule est sous son emprise. Les mauvaises langues, qui voient en Radiohead un groupe d'adolescents en plein spleen, trouveront Radiohead en plein délit de joie de vivre, qui s'entend dans la voix de Thom Yorke. Ceux qui les ont vus au cours de cette tournée confirmeront: le groupe n'a jamais été aussi souriant et bien dans sa peau. Cela s'entend si bien qu'on ne peut s'empêcher soi-même de sourire en entendant les chansons. L'énergie qui se dégage au cours du concert est parfaitement dosée, le groupe n'est ni un groupe de rock qui poggote, ni un groupe d'électro qui danse, mais il n'est pas pour autant amorphe et ne cherche pas juste à créer des atmosphères: il faut faire bouger les gens, les faire réagir, les faire chanter. Car malgré des textes absurdes, les fans de Radiohead connaissent généralement les paroles de toutes leurs chansons (au moins en version yaourth) et adooorent chanter avec leur groupe fétiche quand cela est possible.
Joie dans les chaumières sur 15 Step, frissons dans le dos sur All I Need/Nude, qui sont sublimement chantées, hystérie collective sur the National Anthem, le groupe ne relâche jamais la pression jusqu'à Bodysnatchers, électrisant, ressortant avec joie Talk Show Host (peu entendu en live, alors que la chanson est superbe), créant une ambiance intime sur Faust Arp et explosant sur les classiques Bends, No Surprises et Karma Police, au milieu desquels Jigsaw Falling Into Place est repris dans une version plus speed et plus rock qui sied à merveille à cette perle. Après une heure vingt de concerts, où le groupe s'est montré dans toute sa splendeur (accessible, pop mais aussi exigeant et toujours en recherche), rien ne laisse présager qu'il reste encore trois quarts d'heure de concert, et pourtant, les voilà de retour avec Cymbal Rush (un morceau issu de the Eraser, superbe au piano, sans fioritures électro), avant d'attaquer notamment Paranoid Android (le morceau sans lequel un live de Radiohead n'est pas vraiment un live de Radiohead, une véritable expérience sensorielle) ou Everything In Its Right Place (le morceau dance de Radiohead). Avant de finir en apothéose sur Idiotheque (plus basé sur sa rythmique folle que jamais), le groupe passe en revue deux morceaux sublimes: Videotape et Lucky, magnifiquement interprétés.

Critique de l'album

Tout ça est très descriptif, mais comment faire plus sur deux douzaines de titres, qui s'enchainent à merveille, avec un niveau de perfection tel que les spectateurs ne peuvent finir que bouche bée et heureux? Car Radiohead rend heureux sur ce live. Il rendra heureux les fans qui trouveront ici un concert de bonne qualité téléchargeable légalement, mais aussi tous ceux qui voudraient s'initier au groupe (il en reste?). Deux heures qui passent vite et qu'on réécoute régulièrement, en se disant que, bon sang, même quand on tresse des lauriers à ce groupe, on est encore en train de les sous-estimer.

lundi 17 septembre 2012

Television - Marquee Moon

Marquee Moon est un album un peu à part dans toute discographie. Considéré par les critiques comme un album de punk, il est bien difficile de ranger les 8 chansons qui composent l'album (+2 inédits et 3 versions alternatives sur la version collector hautement recommandée) dans la catégorie punk, avec des durées entre 4 et 10 minutes, des solos de guitare à tout va et une rythmique bien plus lente que celle des Ramones et autres Sex Pistols. Pour autant comment qualifier cette musique?

Critique de l'album

Et bien, dur à dire. Ce qui frappe aux premières écoutes, c'est la section rythmique qui sert à merveille les circonvolutions de guitares, comme si la musique était un grand tourbillon. Un peu comme l'hypnose des musiques psychédéliques? Oui, il y a de ça, et l'influence de Arthur Lee et ses Love est palpable sur le jeu de guitare de la bande de Tom Verlaine, mais pour autant, ce n'est pas une musique enlevée comme le rock psyché, qui offrait une hypnose en pleine montée. La musique de Television file un sacré vertige et ressemble plus à une chute sans fin, dont l'impact sur terre serait effectivement la rage punk. Car entre temps, il y a eu le Velvet Underground qui a quelque peu changé la façon de concevoir la musique. Alors oui, entre Love et le Velvet, on retrouve les premières influences de ce Marquee Moon.
Mais les influences ne sont pas la musique. Car le groupe a son propre son, sa propre construction, ou plutôt sa propre déconstruction. Servie par des riffs de guitare à se damner de bonheur, chaque chanson fait semblant de ressembler au format pop pour mieux s'en affranchir et prendre son propre chemin. Cette façon de se perdre et ce vertige sont accentués par la voix blanche de Tom Verlaine, qui proclame ses textes autant qu'il les chante. En même temps, et dans la même ville, David Byrne chante Psycho Killer avec la même voix inqualifiable, sans qu'on sache qui a influencé qui. Cette approche quasi martiale du chant et de la musique, et cette énergie brute et qui dégage une sorte de lumière froide, évoque Joy Division. Pour autant, on n'est pas dans un monde aussi dur que celui de Ian Curtis. Car la musique de Television a suffisamment emprunté au psyché pour ressembler à un groupe de rock qui reprendrait, toutes guitares dehors, des œuvres de musique classique réécrite par un jazzman fou (disons Coltrane période Love Supreme).
Et l'album de devenir par lui-même un classique instantané. Chaque chanson amène son lot de plaisir. Depuis See No Evil, sorte de cri primaire, où Television nous ouvre les portes de son univers, à Torn Curtain, déchirant et plein de spleen, l'album s'offre aux auditeurs, avec toute sa liberté, mais en enchainant l'auditeur aux cordes tressées par les virevoltantes guitares du groupe. Venus fait frémir de plaisir, Friction et sa montée de fièvre, Elevation qui nous permet de nous remettre de la baffe provoquée par les 10 minutes de Marquee Moon (le sommet de l'album), Guiding Light en plein délire Velvet, et Prove It en duo où voix et guitares se répondent. Les différents instruments du groupe sont en symbiose totale sur chaque titre, la section rythmique ne perdant jamais de son intérêt face au jeu de guitare pourtant hallucinant de Lloyd et Verlaine. L'inédit Little Johnny Jewel est le single que le groupe avait sorti l'année précédente et ne manque pas d'intérêt, ressemblant à du Captain Beefheart mais en audible, un très beau moment. L'instrumental vient prouver l'influence de Love.

Critique de l'album

Voilà un album qui fait le pont entre les plaisirs hypnotiques du psychédélisme et les souffles glacés de la new- et de la cold-wave, en plein crash punk. Quelque part entre deux courants d'hier, mais qui trouve encore de très belles résonances aujourd'hui. Un album auquel on ne pense pas tous les jours, mais qui procure un plaisir d'une telle intensité quand on l'écoute qu'on ne peut s'empêcher de reconnaitre son pouvoir de séduction.

vendredi 14 septembre 2012

Owen Pallett - A Swedish Love Story EP

Alors forcément, en 2010, on est tous tombés amoureux de Heartland, l'album sublime que nous a livré Owen Pallett (anciennement connu sous le nom de Final Fantasy), auteur-compositeur-interprète de génie en solo, mais aussi superbe arrangeur chez les autres (les cordes chez Arcade Fire ont été arrangées par lui, rien que ça). Oui, et donc cet album, on le connait tous. Mais en 2010, le bonhomme s'est aussi permis un petit extra, cet EP de quatre titres + un remix: A Swedish Love Story.

Critique de l'album

Y a-t-il beaucoup à dire sur uniquement quatre titres? Oui, car quand il s'agit d'un artiste de la trempe de Pallett, chaque titre est une petite merveille. Alors, c'est vrai qu'en quatre titres, il ne crée pas l'effet album avec toute la cohérence que cela implique. Les chansons ne s'enchainent pas avec autant de facilité qu'elles pouvaient le faire sur Heartland. Cependant, impossible de bouder son plaisir à l'écoute de chacun de ces titres.
Pallett vient nous cueillir là où il nous avait déposé à la fin de Heartland, sur un nuage, et reprend les choses là où elles en étaient, avec un premier titre, A Man With No Ankles, qui n'aurait pas vraiment dépareillé sur l'album. Violon en boucle et virevoltant, voix aérienne, mélodie parfaite, la chanson est une nouvelle perle sur le collier à multiples rangées que le petit père a commencé à créer. Mais malgré l'aspect si bien connu, une petite touche nouvelle vient faire son apparition sous la forme d'un synthétiseur, qui s'intègre parfaitement soit dit en passant. Et la suite est à l'avenant; avec un Scandal At The Parkade, tout en violon bouclé et en pizzicato, comme si Owen Pallett avait voulu faire une chanson à la Andrew Bird (le son est vraiment proche), et après tout pourquoi pas? On peut difficilement faire référence plus élogieuse pour un violoniste. Et la chanson serait très à l'aise dans un album de l'oiseau de l'Illinois, car elle est une réussite de bout en bout. Sur Honour The Dead, or Else, on retrouve le synthé qui vient créer les nappes sonores de fond qui servent à la trame de la chanson. Un violon aurait pu créer un effet relativement similaire, mais le synthé et les percussions viennent créer une atmosphère qui convient parfaitement au chant de Pallett, tout en finesse, légèrement maniéré, mais jamais ampoulé, quelque part entre Jeff Buckley et Kate Bush, si tant est que cette union ait un sens. Enfin, Don't Stop vient conclure ces quatre nouveaux titres. L'auteur nous sert une rythmique syncopé, ce qu'on ne lui connaissait pas, comme s'il faisait une sorte de hip-pop, sur laquelle son violon trouve l'adéquation parfaite, tandis que sa voix prend un contre-temps qui vient assagir l'ensemble et nous emmène tout là-haut.
Pour finir, Pallett a joint en bonus track un remix de The Great Elsewhere (certainement une des plus belles chansons de ces 5 dernières années) par Son Lux, bidouilleur électro post-rock proche de Sufjan Stevens. Le remix ne vaut pas l'original, loin s'en faut, mais n'est pas désagréable pour autant et vient conclure l'album en légéreté. Reste que les quatre titres qui précédent nous ont procuré un bonheur intense, avec une virtuosité déconcertante, mais la virtuosité n'écrase jamais pour autant le plaisir pop qu'il y a derrière les chansons, parfaites dans l'univers Owen Pallett, comparable à nul autre.

Critique de l'album

C'est vrai qu'un EP n'est pas un album, et on ne trouve pas ici l'amplitude des albums de Pallett (sous ce nom là ou sous le nom de Final Fantasy) qui fait qu'on les réécoute régulièrement et en boucle, cependant, sur ce Swedish Love Story, il n'a jamais semblé aussi pop et aussi simple, et on entrevoit en outre une nouvelle voix, avec l'utilisation d'élément électronique, qui se marrie à la perfection avec sa musique pop baroque. Une bien belle façon de patienter jusqu'au prochain album (enfin dans pas trop longtemps quand même, hein?).

lundi 10 septembre 2012

The Beatles - Rubber Soul

Il fallait que ça arrive. Il fallait bien que le hasard me pousse un jour à chroniquer un album des Beatles. Exercice difficile, car parler des Beatles, c'est parler d'un groupe qui historiquement a eu une important quasi-inégalable, et qui a le mérite d'être toujours aussi bon à écouter aujourd'hui. Rien que ça. Alors voilà, on est en 1965, les Beatles ont sorti Help! un peu plus tôt dans l'année, et ils enchainent avec Rubber Soul.

Critique de l'album

Rubber Soul est un album historique. D'abord parce qu'aucune chanson n'est une reprise, tout est de l'original, et pas de l'original yéyé pop à la She Loves You (pas désagréable, mais soyons honnêtes, ce n'est pas ce qui nous intéresse le plus chez les Fab Four), non, ça y est, les Beatles ont commencé à faire des chansons déconstruites et complexes. Par ailleurs, outre les titres signés Lennon/McCartney, as usual, deux titres sont de George Harrison, et (grande nouveauté) Ringo Starr participe à l'écriture d'un titre (bon, pas le meilleur, c'est vrai, mais c'est signe que le groupe a pris une sacrée confiance en lui). Et voici les Beatles dans un album de transition, entre les idées pop de leur commencement et les chansons plus expérimentales de Revolver. Sauf que là où de nombreux albums de transition sont bancales, ne trouvant pas l'équilibre entre une phase et une autre, les Beatles signent un album de haut niveau et de très belle facture.
A la tête de 14 titres impeccables de bout en bout, les quatre garçons dans le vent démontrent qu'ils en ont dans le ventre et qu'ils ne sont plus là pour être un boys band, ils sont LE groupe, celui qui allie plaisir grand public et exigence musicale. Dès Drive My Car, on entend un son plus rock que pop, les voix sont moins claires (peut-être un peu usées par le rythme de fou du groupe, auquel s'ajoute les abus de substances licites ou pas), bref le ton est donné, avec une boucle de basse superbe et malgré des "pip pip... pip pip yeah!" très yéyé. Sur Norwegian Wood, on entend pour la première fois une sitar, instrument apporté par Harrison en pleine naissance du psychédélisme. Si la chanson est une ballade plutôt classique (et très belle), elle trouve sa pleinitude grâce à l'emploi de cet instrument.Et chaque chanson pourrait être analysée de la même façon, The Word et sa rythmique déglingo, What Goes On tout plein de country, I'm Looking Through You avec son influence Dylan ou Run For Your Life plein de tambourins. Et puis, bien sûr, il y a Michelle et ses paroles en français, son intro en descente et ses chœurs si typiques, façon bal des sirènes dans Retour vers le futur, toute pleine de nonchalance, avec une légère influence soul. Ou encore In My Life, l'archétype de la chanson calme comme les Beatles les faisaient à leur début, mais avec une touche émotionnelle plus forte que jamais, peut-être dans la voix de John, son riff simple de guitare et le pont au clavecin. Et surtout Girl, l'un des plus beaux moments des Beatles, où ce qui aurait pu n'être qu'une très belle ballade prend une toute autre ampleur avec des soupirs d'une sensualité ahurissante qui viennent rythmer la chanson, suivant des Oooh girl! tout joliment susurrés, inspirant, à n'en pas douter, le Je t'aime moi non plus gainsbourien.
Les Beatles s'en sont donnés à chœur joie pour livrer chacune des chansons qui composent ce Rubber Soul et George Martin contribua à donner un son d'ensemble qui fait que cet album est immédiatement reconnaissable et bien différent de tous les autres. Tout en gardant un format propre à celui des premiers albums (une seule chanson dépasse les 3 minutes), les Beatles commencent à inclure les éléments qui les rendront si passionnants par la suite, et la qualité des chansons, des mélodies et de l'écriture contribue à ce que l'album reste toujours aussi plaisant à écouter.

Critique de l'album

Hier, aujourd'hui et même demain, on n'a pas fini d'écouter cet album (dans sa version anglaise bien sûr, pas la version américaine avec son horrible pochette) car il est, dans sa simplicité et son tout début de recherche, un classique instantané, où chaque chanson fait mouche et vient prouver la supériorité inégalée de ce groupe, qui trouvera son apogée dans les 3 années qui suivirent.

vendredi 7 septembre 2012

Other Lives - Tamer Animals

L'an dernier, un petit groupe folk révolutionnait le genre avec un album de folk atmosphérique et légèrement psychédélique, sous des aspects plus classiques. Other Lives est rapidement devenu un album qu'on écoute en boucle, jusqu'à être, au fil des écoutes, un indispensable des ces dernières années.

Critique de l'album

Pourtant, au début, on n'imagine pas que l'album puisse avoir une telle ampleur. Aux premières écoutes, les lignes mélodiques ne ressortent pas immédiatement, et on a un peu l'impression de se retrouver face à un disque pondu par des fans de Fleet Foxes, mais qui auraient tout ralenti. Car la musique de Other Lives n'est pas des plus entrainantes, elle est globalement très atmosphérique, un peu à la façon des petits pères de Sigur Ros, influence assez peu contestable de ce disque. Une certaine originalité dans le monde folk, et qui fait mouche sur les titres de ce Tamer Animals, petit album en apparence, mais à l'immensité insoupçonnée.
On se laisse donc porter par les atmosphères du quintet d'Oklahoma en répétant les écoutes, car la sensation qui s'en dégage est tout à fait délectable. Puis au fil des écoutes, des lignes mélodiques indéniables se détachent et on finit par se demander comment on ne les a pas perçus dès le début tant elles semblent évidentes, et surtout tant elles sont belles. L'orchestration apparait plus nettement comme des petits bijoux de précision, car chaque chanson est finement ciselée et se démarque à merveille. Pour autant, l'unité de l'album demeure, avec un son reconnaissable immédiatement. En l'espace de 45 minutes, Other Lives a signé un album qui n'a pas son pareil et qu'on a envie d'écouter dans son intégralité et non pour un hit single potentiel. Certes, il y a For 12 et Tamer Animals, les deux morceaux avec le plus gros potentiel à single (et force est de reconnaitre qu'ils sont réussis), mais tous les morceaux ont leur intérêt et on ne peut pas imaginer que l'album ait pu être construit différemment.
Rapidement, on identifie aussi de nombreuses autres influences, comme Enio Morricone et ses chevauchées fantastiques (qui auront inspiré de nombreux artistes ces dernières années des Last Shadow Puppets au Rome de Danger Mouse), ou encore Philip Glass et ses boucles virevoltantes et haletantes. Les fans de série retrouveront même une surprenante référence au beau travail de Bear McCreary sur Battlestar Galactica. Et puis pêle-mêle, on entend le son de Radiohead période Kid A, le folk de Midlake ou le phrasé de the National. Bref, le folk d'Other Lives a su utiliser des sons électroniques pour créer des nappes sonores autant que des instruments classiques pour donner une atmosphère qui oscille entre le grandiose et l'intime au fil des titres. Le tout est soutenu par une voix superbe qui entraine l'auditeur dans l'univers que le groupe a défini.

Critique de l'album

Depuis sa sortie, et le choc de la première écoute passé, il semblerait que chaque nouvelle écoute de cet album le rende encore meilleur. A écouter aussi bien tranquillement au fond d'un canapé que dans une voiture en scrutant les paysages, l'album s’accommode de toutes les atmosphères, car il crée la sienne, une atmosphère si forte qu'elle s'impose sur ce qui nous entoure, impossible d'y échapper. Parfois, avant de réécouter l'album, je me dis que je ne vais plus être surpris, mais il suffit que commence Dark Horse pour que je rentre immédiatement dedans, et puis Dust Bowl III fait courir les frissons, puis la fièvre me prend sur Old Statues et la sensation de bien-être ne s'arrête que sur Dust Bowl. Il me faut alors faire une chose: réécouter l'ensemble.

mercredi 5 septembre 2012

Blur - Think Tank

Nous sommes en 2003, la vague Britpop est passée depuis un petit bout de temps, et si Oasis ne l'a pas compris, Blur s'est attelé à prendre un virage musical depuis quelques années, jusqu'à ce Think Tank qui a autant à voir avec la Britpop qu'un végétarien a à voir avec une côte de bœuf. Pour quel courant alors? Difficile à dire.

Critique de l'album

Car il y a dans cet album et ces 14 titres (en comptant le caché Me, White Noise) une multitude de genres. Graham Coxon, principal guitariste du groupe, ne participant pas au projet, le groupe se trouva alors principalement investi par un Damon Albarn splendidement inspiré. Nouveau projet solo du bonhomme? Pas tout à fait, car la section rythmique (Alex James et Dave Rowntree) s'investit alors plus que jamais. Mais force est de reconnaitre qu'on retrouve dans Think Tank une bonne partie de ce qui fait l'essence de Gorillaz (le hip-hop mis à part, quoique le phrasé du génial Brothers and Sisters...). Il est ici question de mélanger la pop, le rock, l'électro, la world music, le dub ou encore le jazz et de passer le tout au shaker pour obtenir un mélange détonnant. Oui, c'est bien le même genre de cocktail que Albarn nous a servi deux ans avant avec Gorillaz (l'album).
Albarn dévoile chez Blur ce qu'il n'avait pas trop fait jusqu'ici dans le cadre du groupe: sa culture musicale dont l'étendue est impressionnante. Elle lui permet tous les mélanges et toutes les folies, alliant au sein de l'album tendresse et explosion. 13, le précédent album du groupe, avait déjà fait ce mélange, mais avec des passages de l'un à l'autre parfois un peu difficiles, l'album était plus âpre. Dans Think Tank, il y a, malgré le mélange des genres, un son d'album, une véritable unité, pas liée aux genres, pas liée au chant (très changeant et à l'aise dans tous les styles), mais simplement parce que l'album se tient vraiment de bout en bout et tout s'enchaine parfaitement.
Loin du format couplet-refrain-couplet-refrain développé par Blur au début de sa discographie, le groupe explose les formats, privilégiant les ambiances et les boucles musicales, tout en conservant des lignes mélodiques superbes. Dès l'ambiante Ambulance, on se laisse aller, avant d'être porté par les instrumentations orientales de Out of Time (une chanson sublimée par le chant tout en grâce de Damon Albarn) et l'album annonce une ambiance lente que vient rompre Crazy Beat. A partir de là, tout va s’accélérer, et on perd (avec bonheur) tous nos repères. Good Song et Battery In Your Leg reprennent les choses là où Robert Smith les a laissé 3 ans plus tôt avec Bloodflowers. Jets se lance dans le free jazz. Entre temps Moroccan Peoples Revolutionary Bowls Club ravive la mémoire des Clash. Le morceau caché Me, White Noise est un pur délire électro-bruitiste, absolument jouissif, qui donne envie de se jeter sur un dancefloor en hurlant. Mais ne pas citer les autres morceaux serait criminel, car chacun est un petit bonheur, l'ensemble annonçant le chef d’œuvre Demon Days, où Albarn secondé par le génialissime Danger Mouse brillera de mille feux.

Critique de l'album

Tous ceux qui avaient enfermé Blur dans le carcan britpop et se contentaient de leur (très bon) best of auront l'occasion de réviser leur jugement au détour de chaque chanson qui compose ce Think Tank. Pour preuve de l'évolution du groupe, alors qu'il était un des plus médiatiques du moment, et un des plus commerciaux, la pochette (superbe) est signée Banksy, le graffeur underground anti-système au possible. Comme quoi, on peut allier exigence artistique et popularité.

lundi 3 septembre 2012

Nina Simone - Four Women

Oui, me voilà pris en flagrant délit de chronique non d'un album mais d'une collection. En effet, avec ce Four Women, ce n'est pas seulement un album de Nina Simone qu'on découvre, mais l'intégralité de ses enregistrements chez Philips. Soit l'équivalent de 7 albums ou 75 titres. Rien que ça. Et quand on a envie de découvrir cette immense artiste, 75 titres, c'est bien le minimum qu'il faut.

Critique de l'album

Nina Simone est associée de manière traditionnelle à la musique jazz, et est reconnue comme une des grandes voix de ce genre. C'est parfaitement vrai. Mais c'est réducteur. Car au cours de tous ces titres, on prend aussi la température d'une chanteuse dont le registre est beaucoup plus large, s'étendant sur le blues, le gospel, la pop, le folk ou le rythm'n'blues, voire des reprises de chansons françaises. Il semblerait que la voix et l'interprétation de miss Simone n'ait pas de limite, elle est à l'aise dans tous les styles.
Elle sait mettre le rythme là où il faut, ou au contraire briser une rythmique par ses silences. Cela semble d'une telle évidence chez cette grande dame qu'on ne peut que s'esbaudir. Mais sa science rythmique n'est qu'une partie de son talent qui passe aussi par une sensibilité à fleur de peau. Sur 3 minutes 30, avec sa reprise de Strange Fruit, Nina Simone met une conviction désarmante dans son interprétation et nous file des frissons de bout en bout. Cette fervente défenseure des droits civiques trouve dans cette chanson une forme d'apogée, les fruits étranges étant les noirs lynchés aux arbres dans le sud des Etats-Unis. On sort de ce titre déchiré.
Mais le titre qui le suit, Sinnerman, arrive à faire sortir de la torpeur pour entrer dans la transe, pendant 10 minutes, pas moins. C'est ça la force de ces 75 titres, c'est de passer d'une émotion à l'autre. Par ailleurs, les passionnés de musique s'amuseront à reconnaitre les multiples samples tirés de ces chansons (Sinnerman chez Abd Al malik) ou les reprises faites par d'autres artistes (See-Line Woman repris en Sealion chez Feist), mais aussi toutes les reprises faites par Nina Simone et qui trouvent souvent leur version la plus convaincante chez elle plutôt que chez d'autres interprètes (Feeling Good trouve ici sa version la plus incroyable, ce qui n'est pas peu dire), même si cela n'est pas toujours vrai (Ne me quitte pas ne sera jamais aussi belle que chantée par un Brel en sueur à l'Olympia).

Critique de l'album

Bref, ces enregistrements sont aussi bien à recommander pour les novices qui y trouveront de facto un best of de ces années Philips en même temps que l'intégralité des enregistrements, ce qu'apprécieront les aficionados. Il sera bien difficile de rester de marbre devant tant de talent.

mardi 21 août 2012

The Brian Jonestown Massacre - Methodrone

Le Brian Jonestown Massacre a été découvert en France dans le cadre du superbe documentaire Dig, mettant en parallèle les carrières du BJM (groupe underground et qui désire le rester) et des Dandy Warhols (groupe underground qui désire faire la tournée des stades). Forcément, l'intransigeance artistique des premiers force tellement le respect qu'à l'issue du documentaire, une certitude a pris forme: il faut écouter ce groupe. Bonne idée!

Critique de l'album

Quoi de mieux pour découvrir un groupe aussi prolixe que le BJM (11 albums en 10 ans) que de commencer par le commencement (ou presque, puisqu'il s'agit du deuxième album)? Et donc ce Methodrone... Quelle belle découverte! Sans doute le plus bel album et le plus complet du groupe d'ailleurs (même si d'autres perles se sont glissées dans la discographie, comme Take It From The Man). Il y a véritablement dans cet album un son Brian Jonestown Massacre. Les mauvaises langues diront que ce son vient du fait que l'album est à peine produit et que le son est surtout sale, mais ça serait y mettre la mauvaise volonté car il y a plus que cela. Il y a cette espèce de mélange évident et réussi entre le shoegaze (dans la saturation planante des guitares) et la musique psychédélique (notamment dans les instruments utilisés). Forcément avec un nom de groupe comme ça, on pouvait s'y attendre, l'influence des Stones dans leur période la plus psyché est présente, mais, sans les évolutions sonores d'un Loveless, la bande emmenée par Anton Newcombe n'aurait sans doute jamais osé aller aussi loin.
Avec une attitude de poseur tête à claques, digne des frères Gallagher, Newcome déclare haut et fort que le groupe a relancé le rock et a tellement innové que tout le monde lui est redevable... bon, n'exagérons rien, le groupe n'a rien relancé du tout, mais force est de reconnaitre qu'il a su faire un son qu'on n'entend pas tous les jours. Influencé par Cure par instants, mais avec une touche de Velvet Underground, comme une parfaite synthèse des musiques anglaises et américaines, le groupe se lance dans des épopées musicales qui font la part belle aux mélodies aussi bien qu'aux ambiances saturées.
Ecrite par des musiciens drogués jusqu'à l'os, la musique de Methodrone pourrait bien correspondre à la description d'un trip sous héro. Le pendant musical au Festin nu de Burroughs en quelque sorte. Un lieu créé par le groupe, dans lequel on pourrait très bien ne pas entrer, mais une fois qu'on l'a découvert, il est difficile de s'en défaire. Les premières écoutes de l'album donnent l'envie instantanée de le réécouter, comme si tout cela était définitif. Bien sûr, au bout d'un certain temps, on en revient, et a posteriori, on peut dire que l'album est très bon, sans être ce qu'il y a de meilleur. En attendant, quelle claque! Chaque chanson est un plaisir, un morceau d'anthologie, avec des apothéoses comme Wisdom (reprise sur l'album Strung Out In Heaven, où la production vient tout gâcher, la version de Methodrone est la seule et unique), She's Gone (une fanfare irlandaise complètement stone), Hyperventilation (qui donne une sacrée envie de hurler) et Everyone Says, ma chanson préférée de cet album, pop à souhait, mais avec le son propre à l'album, qu'on reprend en choeur.

Critique de l'album

Bref, un vrai plaisir que cet album, avec des batteries en contre-temps des guitares, les premières excitées quand les deuxièmes ralentissent le tout, un vrai son drone, qui vient s'installer jusque dans le titre de l'album, à côté de la méthadone, ce médicament de substitution à l'héroïne. Oui, en fait, tout était dans le titre de l'album. Le reste est dans la musique.

vendredi 17 août 2012

Aimee Mann - Magnolia


Voilà que je triche un peu. La bande-originale du flim Magnolia ne contient normalement pas que des chansons d'Aimee Mann, mais aussi quelques chansons originales ou de Supertramp, mais tout l'intérêt de cette BO réside dans les superbes chansons écrites par Aimee Mann. Une splendide façon de découvrir cette artiste à mon avis trop méconnue.

Critique de l'album

Aimee Mann est une songwriter très talentueuse, qui sait apporter l'émotion qui convient avec une touche de légèreté qui constitue sa marque de fabrique. Elle était donc parfaite pour illustrer le génial objet de Paul Thomas Anderson. Flim chorale aux personnages barrés, légèrement sombre, et pourtant suffisamment drôle et absurde pour être lumineux, tout cela se retrouve à la perfection dans la musique et dans la voix de miss Mann.
La voix d'Aimee Mann est chaleureuse et accueillante, une véritable invitation à l'écoute, car elle n'est pour autant jamais mièvre. La musique est très pop, apparemment influencée par les Beatles, avec des arrangements simples mais d'une efficacité hors pair, il y a quelque chose d'Abbey Road (sans atteindre ce niveau, soyons honnêtes) dans ce bouquet de Magnolia. Mais pas que... car derrière cet aspect pop, voire un peu rock (les guitares de Deathly en sont la preuve), il y a aussi une belle approche folk, celle qui consiste à raconter des histoires et à faire des ballades. Les chansons se construisent toutes seules et on se laisse embarquer dans chacune avec simplicité et plaisir, un peu comme dans l'univers d'Elliott Smith, dont Aimee Mann serait le correspondant féminin.
Si chaque chanson est un vrai petit plaisir, trois sortent amplement du lot, et valent à elles seules qu'on se penche sur le cas de cet album. Tout d'abord, il y a One, chanson d'ouverture, même s'il s'agit d'un mauvais exemple du songwriting de la dame, puisqu'il s'agit d'une reprise, cependant, la façon de chanter d'Aimee Mann et la délicatesse de sa musique est déjà très présente et One est une parfaite façon d'appréhender l'album. Ensuite, il y a Wise Up, que les aficionados du flim reconnaitront, car il s'agit d'une superbe scène, la chanson étant chantée par tout le cast du flim, cette chanson est une très belle ballade au piano qui monte en puissance avec des instruments à cordes et des choeurs, très triste et mélancolique, mais qui renferme (sans doute grâce à la voix d'or d'Aimee Mann) une forme de réconfort, le genre de chansons qui pourrait faire pleurer sans rendre triste. Enfin, l'album se conclue (si on décide, comme je le fais, de s'arrêter à cette partie de l'album) par Save Me, hit single en puissance, injustement passé inaperçu aux yeux du grand public, avec une rythmique dans la voix et dans la guitare qui fait la part belle à la langueur avant de prendre toute son ampleur, les arrangements font peu à peu leur apparition, et installent en 4 minutes 30 un univers d'une richesse insoupçonnée.

Critique de l'album

Bref, de bien bons et beaux moments que ces 9 titres (oui, les 6 autres titres sont aussi très bien), emplis de la luminosité pop-folk de cette grande chanteuse, dans cette ambiance douce-amère, parfaite illustration du flim et parfaite en tant que tel, si bien que les fans du flim devraient se ruer sur l'album, mais ceux qui découvriront l'album sans avoir vu le flim ne seront pas perdus, loin de là, en revanche, ça devrait leur donner envie de voir le flim.

mardi 14 août 2012

Lauryn Hill - The Miseducation Of Lauryn Hill

Quand Lauryn Hill débarque en 1998 avec ce premier album solo, elle est loin d'être une inconnue puisque ça fait des années qu'on la suit avec les Fugees. Oui, mais voilà, autour d'un concept (un professeur expliquant les notions d'amour à des enfants), la jeune princesse va imposer son nom à elle et signer un album largement intemporel.

Critique de l'album

Musicalement, tout commence par un hip hop de haute voltige, pas vraiment sur l'amour, puisque Lost Ones envoie un message à Wyclef Jean: je fais pas ça pour l'argent, it's all about music baby, je te merde. Lauryn, nouvelle princesse hip hop? (c'est en plus ce que laissait suggérer l'immense tube Doo Wap, single de lancement complètement imparable) Et bien, pas vraiment, Ex-Factor vient apporter une touche soul que Lauryn Hill manie à la perfection, vue sa voix, on en était à peu près convaincus, maintenant on en est sûrs.
Et l'album ne sera que ça par la suite: soul, reggae, nu-soul, gospel, hip-hop, le tout soutenu par quelques samples, mais surtout beaucoup d'instruments, loin de toute mécanique électronique. Et cela sied très bien à l'album, soutenant le propos très personnel des chansons. L'exemple le plus parfait étant To Zion, superbe chanson sur sa maternité, Lauryn Hill, soutenue par la guitare de Carlos Santana, y délivre une performance simple, mais désarmante, rappelant à tous la magie qu'il y a à devenir parent, et l'importance que cela a dans la vie, au-delà de toute carrière. Je vous l'avais dit: le message est simple, mais malgré tout, il y a cette conviction dans la voix, cet élan venu de la guitare qui fait qu'on y croit à mort (et on a raison).
A propos d'accompagnateur, Lauryn a su s'entourer sur cet album, puisqu'on retrouve aussi Mary J. Blige, que je n'aime pas trop en solo, mais qui sait illuminer ce I Used To Love Him, aux rythmiques reggae; mais surtout D'Angelo, le roi incontesté de la nu-soul, qui vient délivrer une performance égale à tout ce qu'il sait faire sur Nothing Even Matters, qui n'aurait pas fait pale figure sur Voodoo, comme s'il délivrait le titre de princesse nu-soul à Lauryn Hill. Entre temps, chaque chanson s'impose comme un hit potentiel hip hop (Every Ghetto Every City et son âme à débordement), soul (When It Hurts So Bad sonne comme du Marvin Gaye, c'est tout simplement superbe), raggamuffin (Forgive Them Father a une rythmique affolante). L'album se conclut (officiellement) comme il a commencé, avec un hip hop d'anthologie (Everything Is Everything) et un morceau soul superbement inspiré (Miseducation of Lauryn Hill). Sauf que, pour se faire plaisir, Lauryn a inclus deux titres complémentaires: Tell Him qui viendra finir l'album en douceur, mais surtout une reprise de Can't Take My Eyes Off You, oui on parle bien de cette chanson principalement connue pour sa reprise disco par Gloria Gaynor (rien que d'y penser je fais une overdose de sucre), et qui trouve ici une nouvelle forme de vie, absolument parfaite.

Critique de l'album

Quelque part, il semblerait que miss Hill ait eu la chance de tout réussir sur ce disque, sublimement inspirée par sa vie, et qu'elle délivre avec une telle sincérité qu'il est assez difficile de ne pas accrocher. Sans jamais tomber dans le voyeurisme, l'auditeur se trouve face à un tel monument de sincérité, porté par une voix d'ange noir et posé sur une base musicale si forte et si variée que bouder son plaisir serait une vraie erreur.

jeudi 9 août 2012

Beck - Mutations

4 ans après s'être affiché comme le plus beau Loser de toute une génération (et en avoir fait un véritable hymne), 2 ans après nous avoir expliqué Where it's at, le touche à tout Beck Hansen revient avec un album apparemment plus simple et qui cherche moins à allier toutes ses influences musicales, et pourtant, un de ses meilleurs.

Critique de l'album

Réputé pour avoir (avec talent) réuni folk et hip-hop, Beck a toujours eu une apparence de chercheur, mais ses premiers albums montraient en fait que le garçon est avant tout un grand amateur de country-folk. Avec Mutations, il ne cherche plus à épater la galerie, il met juste en place un album de pop-folk, plus épuré, plus personnel, et sans doute un de ses plus réussis. Peut-être parce que le son est juste comme il faut, pop, rêveur, mais sans en faire trop (désolé Nigel, je t'adore, mais Sea Changes est surproduit). Peut-être parce que c'est l'album qui regorge le plus de mélodies qu'on chantonne, qu'on sifflote et qu'on prend plaisir à retrouver (chaque chanson est construite comme une pop-song). Peut-être parce qu'en debhors du hip-hop, Beck prend quand même un malin plaisir à mélanger plein d'influences.
Et oui, si Odelay et Mellow Gold (que j'aime beaucoup) étaient très ouvertement transgenres, Mutations semble plus cohérent. Et pourtant, Nobody's Fault But My Own est une folk psychédélique à base de sitar, Tropicalia est une bossa-nova-samba, Canceled Check se dandine en country, O Maria sort tout droit d'un bar à crooner... bref, un peu à la manière du White Album pour les Beatles, Beck convoque foule de styles musicaux et les enferme ensemble dans un album, et oh magie! le tout se marie très bien ensemble. (bon, je dis pas qu'on a là un objet du niveau du White Album, hein) Et puis, il y a la fin de l'album et ce Diamond Bollocks, la touche électrique de cet album très acoustique (guitares, harmonica, piano, on tourne plutôt à l'acoustique). Cette chanson est la synthèse avant l'heure de ce que Midnite Vulture a essayé d'être, sauf que là, c'est très très réussi. La chanson est une sorte pop-rock psyché passé à la moulinette prog-rock à la Mars Volta, en quelque sorte le Paranoid Android de Beck.
La voix du sieur Hansen est quant à elle tout simplement épatante. On se laisse porter par son côté négligé, tout en étant bien conscient que rien de tout ça n'est véritablement négligé. Il a une nonchalance et une langueur qui cadre parfaitement aux styles musicaux de cet album. C'est sans doute aussi pour ça qu'il est l'un des plus réussis, car on a l'impression que chaque chanson lui ressemble et qu'il n'a pas eu à forcer pour être celui qu'on attend qu'il soit, ici il n'est que celui qu'il est tout simplement.

Critique de l'album

14 ans après sa sortie, voilà sans doute l'album de Beck que j'écoute le plus souvent (avec son dernier Modern Guilt, mais c'est autant pour lui que pour Danger Mouse, à qui je déclarerai prochainement ma flamme), celui qui me touche le plus, par son dépouillement apparemment, autant que par son immense diversité réelle, par ses mélodies et par sa sincérité.

mercredi 8 août 2012

Jefferson Airplane - After Bathing At Baxter's

Les Jefferson Airplane, au faîte de leur gloire en 1967 après les hits White Rabbitt et Somebody To Love, décident d'assumer leur part de psychédélisme en poussant l'expérience plus avant, et sortent ce Bathing At Baxter's, un vrai manifeste de pop-rock psychédélique.

Critique de l'album

Le chant de Grace Slick est toujours très puissant, très marqué (un peu ampoulé même), et ressemble plus que jamais à une incantation infinie. Soutenue par des doublements ou triplements de voix de la part de ces comparses, elle apparait comme une véritable prêtresse. Sa voix hallucinée est le reflet parfait et le seul possible à la musique que fournit le groupe.
Musiques psychédéliques, et donc, rythmes hypnotiques en boucle, solos de guitares, bien foutus mais jamais virtuoses. Car le psychédélisme n'est jamais dans la technicité, mais dans le pur ressenti, dans l'effet que doit produire la musique sur l'auditeur. Le disque se découpe en 5 parties (sans doute l'influence des concept albums de l'époque) mais s'écoute en fait comme un tout. Dès le deuxième titre, le groupe montre ce qui est ensuite une évidence: ils étaient tous drogués jusqu'au bout des ongles. Pastilles de LSD, poêlée de champignons, je ne sais pas à quoi ils tournaient le plus, mais leur musique transpire la drogue. Tant mieux pour l'auditeur qui, pris par les tourbillons musicaux, se retrouve dans un état second à la simple écoute des titres de ce Baxter's.
Enchainant les tubes quasi-pop (Wild Tyme) et les morceaux quasi-anxiogènes (Rejoyce, en hommage à l'auteur d'Ulysse, on pourrait faire difficilement plus déconstruit comme inspiration), le groupe semble avoir atteint son apogée, très à l'aise dans tout ce qu'il entreprend et se permet d'ailleurs d'entreprendre tout et n'importe quoi: Spare Chaynge, le morceau instrumental et expérimental de 9 minutes ressemble à du Can avant l'heure et Won't You Try/Saturday Afternoon est la complainte la plus hypnotique des années hippies.

Critique de l'album

Alors que Love portait, cette même année, le folk psyché à son sommet, tandis que Jimi, les Doors et autres Pink Floyd s'essayait au psychédélisme sous ses formes blues, rock et pop, Jefferson Airplanes posait sur leur route une borne, ou plutôt un phare, lumières tous azimut(é)s, sur leur route. L'album s'écoute avec un immense plaisir hallucinogène, malgré un son un peu daté, qui fait d'ailleurs parti du charme du groupe.

mardi 7 août 2012

Curtis Mayfield - Superfly

Les bandes-originales de flim sont souvent de bons prétextes à une bonne collection de chansons ressemblant à une compilation, ou alors une somme de mélodies plus ou moins répétitives. Mais des bandes-sons qui sont une collection de chansons originales, voilà qui est plus rare. A fortiori quand les chansons sont du niveau de Superfly.

Critique de l'album
On est en 1972, et Marvin Gaye a décomplexé la soul il y a un an avec le toujours aussi merveilleux What's Goin' On? Curtis Mayfield, déjà assez éblouissant sur ses précédents essais profite du champ qui lui est offert dans le cadre d'un flim (mais qui l'a vu aujourd'hui?) pour donner sa réponse. Superfly est donc dans la nouvelle mouvance de la soul, celle qui en plus d'être sensuelle s'avère être intelligente. Il est question ici des problèmes des ghettos et de la drogue, mais le tout est susurré par la voix suave et féline de Curtis Mayfield.
La musique qui l'accompagne est bien de la soul, mais avec une grosse tendance funk, comme si Mayfield avait décidé de définir le concept de soul groovy: les instruments à cordes enrobent l'ensemble comme dans tout bel album de soul, et si les cuivres sont très présents, ils sont plus rythmés, par ailleurs, les guitares wah-wah complètent le paysage musical créé pour l'occasion. Et les percussions... quel bonheur que ces percussions! De véritables perles de groove tant dans le rythme que dans leurs sonorités, quasi-africaines par instant. Rien de synthétique en tout cas dans cet album. Chaque instrument est perceptible et quasiment tactile. Les lignes de basse accompagnent à la perfection chaque titre, ou plutôt chaque perle devrait-on dire.
Car qu'y a-t-il à jeter sur cet album? Soyons francs, rien! Qu'il s'agisse de pures chansons soul (Give Me Your Love, qui a dû faire pâlir d'envie Marvin Gaye par sa sensuelle beauté) ou de musiques plus rythmées (Superfly, parfait), tout semble réussir à Curtis Mayfield qui apparait dans un véritable état de grâce. Mais ne pas citer les pistes instrumentales (Junkie Chase rivalise avec le meilleur de Isaac Hayes) ne serait pas rendre justice à l’œuvre. Et plus belles encore sont les trois premières pistes de l'album, synthèse de cette soul groovy sur Little Child Runnin' Wild, sonorités des percussions et lignes de basse parfaites sur Pusherman et mélodie superbe et production parfaite sur Freddie's Dead. Ce triptyque constitue, à ma connaissance, les 15 minutes les plus parfaites jamais écrites par Curtis Mayfield, et sont en bonne place pour rivaliser avec le medley d'ouverture de What's Goin' On? au panthéon de ce que la musique black des années 70 a fait de plus beau.

Critique de l'album

Ce qui est fort, c'est que malgré cette perfection à l'ouverture, le reste de l'album ne parait pas fade, mais est parfaitement à l'avenant. Entendre les premières notes de Little Child Runnin' Wild, c'est se lancer dans l'album dans son intégralité, car il est dur de l'interrompre, tant l'ensemble est cohérent et s'apprécie sur la durée d'un album. Une perle de soul sensuel et groovy, à réécouter en boucle.