jeudi 16 mai 2013

The Kills - Midnight Boom



Depuis deux albums, les Kills avaient déjà eu une certaine audace, celle de prouver que ce nom, que seul le rock pouvait inventer, était complètement fait pour eux. Pour autant, malgré tout le bien qu'on pouvait penser après le premier album de leur producteur, issu du hip-hop, Spank Rock (Yoyoyoyoyo), rien ne laissait penser que le groupe pourrait sortir un album de la facture de Midnight Boom.

 Critique de l'album

Certes, l'annonce d'un producteur de hip hop cradingue sur un des groupes qui réinventa une certaine forme de blues-rock dégueulasse en l'espace de deux albums, cela avait de quoi séduire, mais de là à prédire un tel niveau d'album, personne ne l'aurait dit. A qui doit-on attribuer ce succès? Dur de le dire.
D'abord il y a l'évidence mélodique et l'immédiateté du son qu'on ne retrouve que chez des groupes comme les Pixies. De Cheap and chearful à What New York Used to Be, le groupe est en pur état de lévitation, dans une sorte d'évidence, comme si le duo se contentait de sortir les chansons que l'auditeur a toujours eu envie d'entendre.
Ensuite, il y a la production. En ne sacrifiant rien au monde du rock, le producteur, issu du hip hop, a su mettre une touche de pop tout en se gardant de toute facilité. Comme si en confrontant le monde du blues-rock à celui du hip hop exigeant (quoiqu'évident) de Spank rock, la seule solution était celle-ci: celle d'un pop-rock qui se veut à la fois évident et intransigeant. Il suffit d'entendre Sour cherry, une des chansons les plus représentatives de l'album, sans être pour autant la meilleure (Black Balloon remplit très bien cette fonction). Le son n'est pas que rock, il est plus ouvert, plus généreux, et pourtant il évoque toujours autant un monde interlope de fin de soirée, quand les verres sont retournés sur la table, mais que les choses ne font que commencer.
Tout cela est d'autant plus évident par le filtre de la voix d'Alisson Mosshart, plus sensuelle que jamais. Que dis-je sensuelle? Cette voix est carrément sexuelle. Ses imprécations sont des hymnes. Quand elle décrète I want you to be crazy coz you're boring baby when you're straight, il n'y a pas un homme qui n'ait pas envie de se dévêtir ou de se jeter dans un fleuve (les deux sont possibles et ont déjà été expérimentés). A partir de ce moment, l'auditeur n'a qu'une envie: se ruer sur les tracks inconnus (et réussis) des Kills ou sur celles des Dead Weathers où Mosshart est encore au top. Le dernier album des Kills à ce séjour (Blood pressure) quoique plaisant ne retrouvera jamais cette sexualité brute et naturelle que seules quelques artistes comme Marylin Monroe et Scarlett Johansen dégagent.

Critique de l'album

Au-delà de l'excitation quasi-animale que ces dernières lignes laissent entendre, les Kills délivrent ici leur meilleur album, un album qui, au fil des écoutes, ne se démode pas (contrairement à ce que l'enthousiasme premier trop immédiat aurait pu laisser sous-entendre), un album qui reste d'une efficacité indéniable. L'album qui accompagnera toutes vos cuites avant les lendemains difficiles. Good night and have a bad morning!

samedi 16 mars 2013

Alice In Chains - MTV Unplugged

Nous sommes en 1996, et personne ne s'est remis du tsunami Nirvana. En trois albums studio et un unplugged, le groupe de Seattle a changé la face de la musique des années 90. Depuis deux ans, la mort de Cobain a laissé un gros vide. Dans l'ombre de ce géant, Alice in chains, groupe aussi issus de Seattle, creuse gentiment son sillon, avec 3 albums de rock puissants, qualifiés de grunge, peut-être plutôt métal. Le chanteur Lane Staley est un écorché vif, une sorte de Kurt Cobain en puissance. Et voilà que MTV les convoque pour une session unplugged. L'histoire s'écrit là...

Critique de l'album

Car le groupe, en débranchant les guitares, sort de l'ombre de Nirvana, et livre une prestation qui met en avant tous ses talents. Alice In Chains est un groupe aux chansons sombres et sublimement travaillées. Ce que l'électricité des albums pouvait parfois couvrir, l'unplugged le livre avec une puissance insoupçonnée. Il suffit d'écouter une fois Down in a hole, sans doute l'un des meilleurs morceaux du live, pour s'en rendre compte. Les arpèges sont superbes et créent tout de suite une atmosphère délétère, les voix s'emmêlent à merveille. On plonge avec le groupe dans cette chanson comme on ferait d'une chanson purement folk. Car il y a de ça dans la musique d'Alice in chains. Du folk. Etrange? Pas vraiment. Avant de verser dans le rock, le groupe a écrit et travaillé chaque chanson. Des refrains, des ponts, des mélodies, c'était, avant la puissance, ce qui rendait le groupe intéressant sur ses albums. Avant d'apprendre à libérer une force sonique, le groupe a clairement appris à écrire une chanson. Et c'est pour ça que ses titres se plient à merveille à l'exercice, pourtant pas évident, de l'unplugged.
Pour autant, hors de question de perdre en puissance. Il suffit de prendre Angry Chair pour ressentir toute la hargne que le groupe conserve. Il semblerait même qu'en étant rentrée, la colère est plus touchante, plus vraie. Peut-être est-ce dû au chant de cet espèce de vieil autodestructeur de Lane Staley, peut-être aussi à à la puissance des guitares rythmiques ou à une ligne de basse toujours aussi présente. La batterie a su se faire plus discrète, mais est parfaitement juste et accentue quand il faut les accélérations ou rend plus présents les vides, comme la seconde guitare. Difficile de dire vraiment à quoi tout cela tient. Peut-être est-ce surtout l'alchimie qui lie le groupe. C'est ce qu'on se dit en entendant Heaven Beside You, morceau qui commence par une ombre, puis s'ouvre pour devenir étonnamment lumineux, un moment de respiration au milieu d'un océan vénéneux.
Frogs est définitivement représentatif de ce venin, de ce mal-être omni-présent. Lentement mais sûrement, avec une sorte de fascination malsaine, le groupe fait sa catharsis. Pour finir, il nous livre Over Now, titre prémonitoire puisque c'est la dernière fois que la formation d'origine jouera ensemble, avant l'inédit Killer Is Me, superbe morceau composé spécialement pour l'occasion. L'envie d'appuyer sur repeat est alors incroyablement forte. Réécouter chaque titre, se laisser plonger dans cette ambiance si spéciale, si unique.

Critique de l'album

Ce qui est étonnant quand on réécoute les versions albums de ces chansons après s'être bien imprégné de cet unplugged, c'est qu'on a l'impression d'entendre des reprises parfois manquant de finesse de superbes joyaux. Comme si ces versions acoustiques étaient ce qui pouvait arriver de mieux à ces chansons. Ces versions dépouillées semblent avoir toujours été écrites de la sorte. A écouter en boucle en laissant le venin s'instiller.

dimanche 13 janvier 2013

Danger Mouse & Jemini - Ghetto Pop Life

Juillet 2003. A la recherche de nouveaux sons, me voilà parti à la FNAC Rouen, où les vendeurs disques sont tout simplement bons. Et du rayon jazz au rayon pop inde, on ne parle que d'un album... un album de rap. Alors en pleine découverte du hip-hop, je saute sur l'occasion, d'autant que le disque est édité par Lex Records, maison alors récemment découverte par le biais de Tes et Boom Bip. En me ruant sur ce disque rap, je ne savais pas que j'allais à la rencontre d'un des plus grands producteurs pop que je connaisse.

Critique de l'album


Pourtant, dès le début, Jemini le précise: "Introducing my main man, Danger Mouse, superproducer". Son hip-hop plutôt classique, avec des boucles instrumentales , une rythmique vraiment bien foutue, Born a MC constitue une introduction assez simple, mais portée par un flow impressionnant. C'est surtout Ghetto Pop Life qui lance l'album et fout la première claque: un choeur classique se transforme soudainement en musique de fond pour une pièce hip-hop aux rythmiques en folie. Un peu à la façon des Roots, le hip-hop auquel on a affaire est profondément organique, et se base sur des rythmiques imparables, qui servent la chanson comme il faut. Par la suite, l'album distillera des touches de funk, de rock ou de pop, le tout sous forme hip-hop dans un mélange que seuls les petits pères de Gorillaz sauront aussi bien arranger (tant mieux, Danger Mouse sera justement le producteur de Demon Days).
Chaque titre semble être un hit potentiel. Car sous couvert d'un certain underground (Lex Records ne se présente pas comme une usine de tubes radio), Danger Mouse et Jemini livre en fait un hip-hop ultra-populaire. Imaginez les Black Eyed Peas période Bridging the Gap/Elephunk, qui auraient décidé d'aller plus loin dans leur recherche musicale et seraient restés intègres au lieu de se vendre. Pas assez distribué pour être connu, l'album aurait pu cartonner avec des titres comme That Brooklyn Shit, Don't Do Drugs ou Bush Boys, singles potentiels, véritables descendants de De La Soul ou du Pharcyde (qui apparait d'ailleurs sur l'album). A tout moment, la patte du producteur vient faire la différence entre ce qui aurait pu être "simplement" un bon disque de rap et ce qui fait de l'album un indispensable, qu'il s'agisse de la rythmique toute en bombes à la fin de Bush Boys ou de la montée inéluctable de What U Sittin' On.
Les refrains restent en tête un bon bout de temps, les gimmicks de l'album deviennent des petits plaisirs qu'on attend à chaque nouvelle écoute, et pour tout amateur de pop, il y a là enfin une porte d'entrée (et pas des moindres) vers le hip-hop, une façon de s'initier en toute simplicité et avec un plaisir véritablement indéniable. Il se dégage de l'album une sensation de bien-être, de joie et de gros délire, un sentiment que tout ça n'est qu'un grand jeu (ça l'est très certainement d'ailleurs). Cela caractérisera par la suite une bonne partie de l’œuvre de Danger Mouse, qui instillera malgré tout une légère touche de mélancolie, que ce soit dans ses projets les plus personnels comme Rome, les Broken Bells et Gnarls Barkley ou dans ceux d'autres artistes comme Beck, Norah Jones ou Sparklehorse.

Critique de l'album

Bref, après 10 ans d'écoutes sans jamais se lasser, cet album s'est peu à peu imposé comme un incontournable, une petite pépite pop sous couvert de hip-hop. A mettre entre toutes les oreilles!

mercredi 12 décembre 2012

The Cure - Boys Don't Cry

En 1979, propulsé par deux singles (Boys Don't Cry et Killing An Arab), le groupe Cure sort son premier album Three Imaginary Boys. A la façon des Beatles qui publièrent des versions américaines différentes des versions anglaises, the Cure propose une version américaine sous le nom Boys Don't Cry, incluant les deux singles, ce que ne faisait pas la version anglaise (et supprimant malheureusement quelques titres comme une reprise plutôt marrante de Foxy Lady). L'album sort en 1980 et se trouve être une des pierres angulaires de la décennie qui s'ouvre à peine.

Critique de l'album

Quatre chansons font plus de 3 minutes, toutes sont rythmées avec une urgence affolante. Pas de doute, le mouvement punk est passé par là. Il ne se retrouve peut-être pas dans l'album, mais pour autant, Boys Don't Cry est bien une œuvre de post-punk, et rentre de plein pied dans ce qui deviendra la new-wave. Ce qui fait la différence avec le reste du monde? Une voix et une interprétation inimitables. Robert Smith semble en permanence être outragé par le monde qui l'entoure, comme un gros foutage de gueule auquel se mêlerait une forme exacerbée de romantisme (au sens littéraire et littéral du terme). Visiblement inspiré par le punk anglais, il ne serait pas étonnant que Robert Smith et ses potes aient aussi beaucoup écouté Marquee Moon, pour en tirer l'essence nerveuse tout en gardant une pointe de spleen.
Car tout n'est pas qu'énervement, même si certains morceaux comme Plastic Passion ou Jumping Someone Else's Train sont en plein dans le punk, il y a aussi des divagations de l'âme, avec notamment 10:15 Saturday Night, chanson qui semble avoir été intégralement écrite avec une basse dans la main. Et puis, bien sûr, il faut aborder les deux singles. Il y a Killing An Arab, chanson écrite en hommage à l'Etranger de Camus, avec son introduction en guitares toutes orientalisantes, son chant superbe, limite provoc (la chansons sera malheureusement reprise par des groupuscules racistes), mais d'une puissance incroyable. Boys Don't Cry est une chanson qui n'a mystérieusement pris aucune ride, complètement intemporelle, en parfaite adéquation avec les états d'âme de tous les jeunes hommes du Monde, les Cure semblent être complètement à leur aise dans ce titre, qui reste un titre-phare de leur carrière: le riff de guitare qui tue, la batterie en soutien, le chant à l'avenant, tout est là.
Mais pour autant ces 4 chansons (qu'on retrouve dans la plupart des best-of du groupe) ne doivent pas effacer d'autres titres aussi excellents que Accuracy, Fire In Cairo ou Three Imaginary Boys. D'une manière globale, tout l'album est excellent de toute façon. Et si les chansons évoquent déjà plusieurs styles (par la suite, Cure ne cessera pas de changer de style), l'album a pourtant une vraie sonorité, une identité propre. La production est plutôt minimaliste, et il semble que des groupes actuels comme xx ou Placebo soient amplement allés piocher dedans, mais elle met merveilleusement en avant les talents de compositeur de Robert Smith.

Critique de l'album

Pour ceux qui voudraient découvrir the Cure, ceux qui seraient effrayés par la trilogie qui suivra (Seventeen Seconds, Faith, Pornography, mais vous y viendrez), ceux qui ont une image plus datée du groupe (quelle erreur! le son est sans doute parfois un peu daté, mais les albums restent incroyables), ceux qui pensent que les Cure sont une bande de gothiques (force est de reconnaitre que niveau esthétique, ils étaient pas toujours bien loin, mais musicalement, rien à voir), Boys Don't Cry offre une porte d'entrée parfaite et rêvée. Un album que je ne peux que recommander à tous, quels que soient vos goûts musicaux, car les Cure ont su travailler les atmosphères autant que les chansons, et ce n'est finalement pas tant le format qui compte mais les sensations qui se dégagent de l'ensemble.

mardi 11 décembre 2012

Eels - Electro-Shock Blues

En 1996, Eels se dévoile comme un groupe talentueux, porté par un single imparable: Novocaine for the soul. L'album qui s'ensuit est d'une très belle facture, parfaitement dans l'air du temps, très rock, avec des ajouts électro, soul, bidouillages et autres plaisirs à la Beck. En 98, Mr E revient avec Electro-Shock Blues, utilisant des recettes assez similaires, mais en allant beaucoup plus loin.

Critique de l'album

Beaucoup plus personnel, E sort d'une période de deuil et a vu ses proches affronter la maladie, en tant qu'artiste, il ne pouvait pas se priver de relater ces événements. D'où des titres aussi joyeux que Elisabeth on the Bathroom Floor, Cancer for the Cure ou Going to your Funeral, aux paroles déprimantes à souhait, mais la musique renvoie en permanence une image plutôt colorée, si bien que l'ensemble forme un tout extrêmement ironique. C'est un des sentiments les plus forts transcrits dans l'album: l'ironie de la vie. Certains noteront qu'un des meilleurs albums des années 2000 a aussi été marqué par le deuil, je parle bien sûr d'Arcade Fire. Sujet vaste, qui confronte chacun à la disparition de l'autre et à sa propre disparition, et qui semble inspiré les artistes avec une force et une conviction incroyable.
Au cours des années 90, un petit génie, branleur de formation, a transformé la musique, apportant ses connaissances folk et appliquant les rythmiques hip-hop, Beck a décloisonné la musique du début de cette décennie, donnant des ailes à d'autres, dont Eels, profondément pop-folk, plutôt orienté ballades (Ant Farm, country-folk), qui a lâché les productions classiques pour faire des chansons qui ne sont qu'à lui, avec des ajouts de jazz (Hospital Food), de trip-hop (Efil's God) ou d'instrumentation plus classique (PS You Rock My World, superbe façon de conclure l'album). Et puis, il y a la construction des morceaux, comme Last Stop This Town (sans doute la meilleure chanson de l'album), qui commence comme une ballade au clavecin, avant de prendre des tournures inattendues, à coup de rythmique hip-hop, de yeah!, de voix angéliques et de guitares saturées. Et le pire, c'est que la sauce prend super bien.
Et puis, il y a la voix de Mark Oliver Everett, joliment déchirée, comme si le bonhomme faisait partie d'un groupe de hard, mais qui trouve parfaitement sa place dans cet univers pop. Elle ajoute la touche grunge, qui sied tant à l'époque, et qui fait part de l'énervement de l'artiste face à la mort. Mais elle sait aussi se faire sensible et émouvoir quand il faut, comme sur Climbing To The Moon, véritable morceau à la Beatles, où E montre qu'il n'est pas John Lennon ou Paul McCartney vocalement, mais il met tellement ses tripes dans la chanson qu'on ne peut qu'adhérer à son propos.

Critique de l'album

Bref un album qui n'a pas pris une ride, et qui s'écoute encore aujourd'hui avec un plaisir mêlé de tristesse, une grande mélancolie en somme, en se disant qu'on a peut-être à faire avec un des meilleurs albums pondus pendant la décennie 90s (et pourtant ils furent nombreux), qui n'a pas à rougir (mais à rosir quand même) à côté de Homogenic et autres OK Computer. Par la suite, Eels continuera à sortir de bien beaux albums, aux sonorités variées, mais aucun ne mêle avec autant de bonheur volonté d'innover et sincérité.