mercredi 12 décembre 2012

The Cure - Boys Don't Cry

En 1979, propulsé par deux singles (Boys Don't Cry et Killing An Arab), le groupe Cure sort son premier album Three Imaginary Boys. A la façon des Beatles qui publièrent des versions américaines différentes des versions anglaises, the Cure propose une version américaine sous le nom Boys Don't Cry, incluant les deux singles, ce que ne faisait pas la version anglaise (et supprimant malheureusement quelques titres comme une reprise plutôt marrante de Foxy Lady). L'album sort en 1980 et se trouve être une des pierres angulaires de la décennie qui s'ouvre à peine.

Critique de l'album

Quatre chansons font plus de 3 minutes, toutes sont rythmées avec une urgence affolante. Pas de doute, le mouvement punk est passé par là. Il ne se retrouve peut-être pas dans l'album, mais pour autant, Boys Don't Cry est bien une œuvre de post-punk, et rentre de plein pied dans ce qui deviendra la new-wave. Ce qui fait la différence avec le reste du monde? Une voix et une interprétation inimitables. Robert Smith semble en permanence être outragé par le monde qui l'entoure, comme un gros foutage de gueule auquel se mêlerait une forme exacerbée de romantisme (au sens littéraire et littéral du terme). Visiblement inspiré par le punk anglais, il ne serait pas étonnant que Robert Smith et ses potes aient aussi beaucoup écouté Marquee Moon, pour en tirer l'essence nerveuse tout en gardant une pointe de spleen.
Car tout n'est pas qu'énervement, même si certains morceaux comme Plastic Passion ou Jumping Someone Else's Train sont en plein dans le punk, il y a aussi des divagations de l'âme, avec notamment 10:15 Saturday Night, chanson qui semble avoir été intégralement écrite avec une basse dans la main. Et puis, bien sûr, il faut aborder les deux singles. Il y a Killing An Arab, chanson écrite en hommage à l'Etranger de Camus, avec son introduction en guitares toutes orientalisantes, son chant superbe, limite provoc (la chansons sera malheureusement reprise par des groupuscules racistes), mais d'une puissance incroyable. Boys Don't Cry est une chanson qui n'a mystérieusement pris aucune ride, complètement intemporelle, en parfaite adéquation avec les états d'âme de tous les jeunes hommes du Monde, les Cure semblent être complètement à leur aise dans ce titre, qui reste un titre-phare de leur carrière: le riff de guitare qui tue, la batterie en soutien, le chant à l'avenant, tout est là.
Mais pour autant ces 4 chansons (qu'on retrouve dans la plupart des best-of du groupe) ne doivent pas effacer d'autres titres aussi excellents que Accuracy, Fire In Cairo ou Three Imaginary Boys. D'une manière globale, tout l'album est excellent de toute façon. Et si les chansons évoquent déjà plusieurs styles (par la suite, Cure ne cessera pas de changer de style), l'album a pourtant une vraie sonorité, une identité propre. La production est plutôt minimaliste, et il semble que des groupes actuels comme xx ou Placebo soient amplement allés piocher dedans, mais elle met merveilleusement en avant les talents de compositeur de Robert Smith.

Critique de l'album

Pour ceux qui voudraient découvrir the Cure, ceux qui seraient effrayés par la trilogie qui suivra (Seventeen Seconds, Faith, Pornography, mais vous y viendrez), ceux qui ont une image plus datée du groupe (quelle erreur! le son est sans doute parfois un peu daté, mais les albums restent incroyables), ceux qui pensent que les Cure sont une bande de gothiques (force est de reconnaitre que niveau esthétique, ils étaient pas toujours bien loin, mais musicalement, rien à voir), Boys Don't Cry offre une porte d'entrée parfaite et rêvée. Un album que je ne peux que recommander à tous, quels que soient vos goûts musicaux, car les Cure ont su travailler les atmosphères autant que les chansons, et ce n'est finalement pas tant le format qui compte mais les sensations qui se dégagent de l'ensemble.

mardi 11 décembre 2012

Eels - Electro-Shock Blues

En 1996, Eels se dévoile comme un groupe talentueux, porté par un single imparable: Novocaine for the soul. L'album qui s'ensuit est d'une très belle facture, parfaitement dans l'air du temps, très rock, avec des ajouts électro, soul, bidouillages et autres plaisirs à la Beck. En 98, Mr E revient avec Electro-Shock Blues, utilisant des recettes assez similaires, mais en allant beaucoup plus loin.

Critique de l'album

Beaucoup plus personnel, E sort d'une période de deuil et a vu ses proches affronter la maladie, en tant qu'artiste, il ne pouvait pas se priver de relater ces événements. D'où des titres aussi joyeux que Elisabeth on the Bathroom Floor, Cancer for the Cure ou Going to your Funeral, aux paroles déprimantes à souhait, mais la musique renvoie en permanence une image plutôt colorée, si bien que l'ensemble forme un tout extrêmement ironique. C'est un des sentiments les plus forts transcrits dans l'album: l'ironie de la vie. Certains noteront qu'un des meilleurs albums des années 2000 a aussi été marqué par le deuil, je parle bien sûr d'Arcade Fire. Sujet vaste, qui confronte chacun à la disparition de l'autre et à sa propre disparition, et qui semble inspiré les artistes avec une force et une conviction incroyable.
Au cours des années 90, un petit génie, branleur de formation, a transformé la musique, apportant ses connaissances folk et appliquant les rythmiques hip-hop, Beck a décloisonné la musique du début de cette décennie, donnant des ailes à d'autres, dont Eels, profondément pop-folk, plutôt orienté ballades (Ant Farm, country-folk), qui a lâché les productions classiques pour faire des chansons qui ne sont qu'à lui, avec des ajouts de jazz (Hospital Food), de trip-hop (Efil's God) ou d'instrumentation plus classique (PS You Rock My World, superbe façon de conclure l'album). Et puis, il y a la construction des morceaux, comme Last Stop This Town (sans doute la meilleure chanson de l'album), qui commence comme une ballade au clavecin, avant de prendre des tournures inattendues, à coup de rythmique hip-hop, de yeah!, de voix angéliques et de guitares saturées. Et le pire, c'est que la sauce prend super bien.
Et puis, il y a la voix de Mark Oliver Everett, joliment déchirée, comme si le bonhomme faisait partie d'un groupe de hard, mais qui trouve parfaitement sa place dans cet univers pop. Elle ajoute la touche grunge, qui sied tant à l'époque, et qui fait part de l'énervement de l'artiste face à la mort. Mais elle sait aussi se faire sensible et émouvoir quand il faut, comme sur Climbing To The Moon, véritable morceau à la Beatles, où E montre qu'il n'est pas John Lennon ou Paul McCartney vocalement, mais il met tellement ses tripes dans la chanson qu'on ne peut qu'adhérer à son propos.

Critique de l'album

Bref un album qui n'a pas pris une ride, et qui s'écoute encore aujourd'hui avec un plaisir mêlé de tristesse, une grande mélancolie en somme, en se disant qu'on a peut-être à faire avec un des meilleurs albums pondus pendant la décennie 90s (et pourtant ils furent nombreux), qui n'a pas à rougir (mais à rosir quand même) à côté de Homogenic et autres OK Computer. Par la suite, Eels continuera à sortir de bien beaux albums, aux sonorités variées, mais aucun ne mêle avec autant de bonheur volonté d'innover et sincérité.