mardi 25 septembre 2012

Beth Gibbons & Rustin Man - Out Of Season

En 2002, quand débarque cet objet, ça fait 8 ans qu'on écoute Dummy en boucle et 4 ans qu'on attend une suite au Live de Roseland. Bref, Portishead a envahi nos oreilles et n'en sort plus, tant le groupe fascine, par son inventivité musicale, mais aussi et surtout par la grâce de la voix de la chanteuse Beth Gibbons. Et la voilà en échappée (presque) solo, dans un style pas vraiment trip-hop. Mais éloignée de Portishead? Peut-être pas.

Critique de l'album

Disons-le tout de suite, il n'y a pas dans cet album qu'elle sort en nom commun avec Rustin Man (en réalité, Paul Webb de Talk Talk) d'inventivité musicale du niveau de Portishead, et on est à 100 000 lieues de la new-wave des Talk Talk. Globalement, l'album est une sorte de folk délicieusement arrangée à renforts de cordes et de cuivres, avec une grâce absolument ahurissante, même après des années d'écoute. Mais si le style est différent, la façon de chanter reste la même
Beth Gibbons n'est pas objectivement une des plus belles voix de tous les temps, elle n'est pas une diva, elle n'a pas une technique incroyable, elle n'a pas la profondeur des chanteuses soul à la Aretha, mais subjectivement, j'ai très envie de dire qu'elle a la plus belle voix de tous les temps. Un peu comme Brel dans un registre différent, elle a telle conviction, une telle honnêteté dans sa façon de chanter qu'on a envie d'y croire et qu'on se laisse porter. La voix se fait tour à tour frêle, dominatrice, nasillarde, soul, pop ou folk, mais quelque soit le choix, elle est juste. Elle colle à chaque fois à merveille aux titres. qu'il s'agisse de Mysteries et sa superbe déclaration d'amour à la vie (est-ce qu'une chanson a déjà plus évoqué un lever de soleil?) ou de Resolve et sa mélancolie, la voix de Beth Gibbons s'adapte à merveille.
Ajoutons à cela des mélodies impeccables et vous avez un mélange de chansons qui vient se graver ad vitam aeternam dans votre tête. Mysteries est d'un optimisme rarement entendu, Tom the Model vient apporter des montées sublimes, Show incroyablement envoutante, Romance s'ouvre comme s'ouvrirait du Nina Simone (à laquelle on pense pas mal dans la façon de chanter), Sand River toute en légèreté, Spider Monkey étourdit, Resolve sonne comme du Nick Drake au féminin (Nick Drake, influence indéniable de l'album), Drake nous plonge dans un cabaret jazz, Funny Time Of Year est une des plus belles chansons jamais interprétées, Rustin Man vient simplement fermer l'album. Le côté chanteuse de jazz qu'on pressentait sur les albums de Portishead ressort ici à merveille. Et certains arrangements ne sont pas sans évoquer le live à Roseland (où Portishead était accompagné d'un orchestre philharmonique). Notamment sur Funny Time Of Year, il y a, dans la construction du morceau et dans le paroxysme qu'il atteint, un petit quelque chose qui n'est pas sans évoquer Glory Box. Dans les morceaux les plus mélancoliques, il y a quelque chose de Only You ou de Roads. La présence d'Adrian Utley (un des trois membres du groupe) sur une bonne partie des morceaux n'y est peut-être pas pour rien. Finalement, Beth Gibbons a fait du Portishead acoustique et finit l'album loin du folk qui a dirigé tout l'album avec une plage ambiante, preuve que l'expérimental, elle l'a dans la peau.

Critique de l'album

Un bien bel album en somme qu'on réécoutera volontiers à l'arrivée de l'automne, tant il cadre avec cette saison, belle mais avec ses intempéries, tout en douceur apparente, mais avec des touches de violence par instants. 10 ans après, cet album procure toujours le même plaisir renouvelé.

vendredi 21 septembre 2012

Herbie Hancock - Fat Albert Rotunda

Herbie Hancock est un grand claviériste jazz. Je n'utilise volontairement pas le mot de pianiste, car il est surtout connu pour son utilisation très réussie et très novatrice des synthétiseurs, il n'est pas Bill Evans, quoi. Jazzman d'origine, il doit sans doute à Miles Davis, avec lequel il a beaucoup travaillé, de s'ouvrir sur d'autres formes musicales (plus tard, il nommera un de ces morceaux Sly, en hommage à mister Stone). Et quand on le retrouve sur ce Fat Albert Rotunda, en 1969, force est de reconnaitre que le jazz n'est pas vraiment le style musical qui transparait le plus.

Critique de l'album

En effet, dès les premières notes, dès le premier riff de guitare, et par le biais de la section rythmique, la musique de Fat Albert fait plus penser à une sorte de soul groovy ou de R&B funky qu'à du jazz. Visiblement inspiré par James Brown et consorts, Hancock livre ici un album qui n'aurait pas dépareillé en fond sonore d'un flim de Blaxpoitation. Quelques mois après cet album, Curtis Mayfield sortira son premier album solo (le très beau et simplement nommé Curtis), qui a une ambiance relativement comparable. Comme si ces albums étaient les captures d'une certaine forme de musique à un moment donné. Toute personne un tant soit peu intéressée par le funk et la soul devrait écouter (et posséder Fat Albert Rotunda), fut-elle ou non connaisseur de jazz. Les rythmes sont enlevés, les mélodies aisément reconnaissables et le tout se grave durablement dans la mémoire de l'auditeur qui quitte l'album avec des airs plein la tête.
Wiggle-Waggle ouvre l'album avec une trompette jazz, écoutez bien, ce sont pour ainsi dire les seules 5 secondes de jazz de l'album. Dès que la guitare entame son riff bouclé, la musique part dans le funk, soutenu par une section cuivre impeccable et une rythmique très dansante. Pendant ce temps, Hancock propose de faire une démonstration de son délicieux toucher de synthé, léger, rythmé, avec un son qui est la touche soul du titre. Le solo eut-il été joué sur une guitare électrique qu'il aurait passé pour du pur rock. Et ce titre est représentatif de ce qui suit, avec Fat Mama, construit sur le même schéma, qui trotte dans la mémoire auditive plus longtemps qu'on ne l'imagine, le titre est parfait. Par la suite, l'album livrera dans ce genre les titres Oh!Oh! Here He Comes et le morceau-titre (et un des piliers de l'abum) Fat Albert Rotunda. Le morceau de clôture Lil' Brother montre une ouverture d'esprit importante, avec la guitare syncopée, les cuivres plus jazzy-funk, le tout couvert de guitares wah-wah, et toujours le même piano joliment rythmé.
L'album est entrecoupé par deux ballades. Jessica, pas spécialement le meilleur moment, même si le morceau n'est pas désagréable et permet à l'auditeur de reprendre son souffle entre deux morceaux plus rythmés. Mais le meilleur moment reste Tell Me A Bedtime Story, titre d'une évidence rare, langoureux, superbe et qu'on pourrait écouter en boucle. Ce que fit sans doute d'ailleurs Quincy Jones, qui repris le morceau quelques années plus tard dans une version un peu plus groovy qui sied assez bien au morceau. Ce titre est un vrai moment de fraicheur au milieu de morceaux plus enflammés.

Critique de l'album

Fat Albert Rotunda est un très bon album, un peu daté, mais c'est justement ce cachet qui fait son intérêt, sans doute pas le plus recherché de Herbie (HeadHunters et Thrust ne sont pas encore sortis). Il fait partie de ces albums qu'on oublie de temps en temps, et qu'on retrouve avec un plaisir toujours renouvelé.

mercredi 19 septembre 2012

Radiohead - Live @ Santa Barbara Bowl 2008

Un live de Radiohead est toujours un bonheur pour un fan des Oxfordiens. Mais le nombre de bootlegs aux qualités douteuses sont légion sur le net. Le site de la radio publique américaine propose, dans son excellente section musique, des lives de bonne qualité (ainsi que des avant-premières et autres bonheurs), dont certains sont téléchargeables. Dont ce live de plus de 2 heures.

Critique de l'album

Et on serait bien sots de ne pas en profiter. Le live date de 2008, et retrouve donc Radiohead dans sa période In Rainbows. Sans doute sa meilleure période pour ce qui est des lives. En effet, toujours doués sur scène, à l'époque In Rainbows, le groupe dispose d'un répertoire large et très divers, qu'il a entièrement retravaillé pour donner une cohérence au tout. Et quel plaisir de retrouver dans la setlist des titres allant de The Bends à In Rainbows (la même année, le groupe jouera même, pour la première fois depuis des années, Creep), là où aujourd'hui le répertoire live s'est considérablement restreint. Toutes les chansons sont donc passées à la moulinette In Rainbows, c'est-à-dire qu'une grosse palette de couleurs s'est emparée des chansons pour les rendre plus lumineuses. Chaque titre semble en bénéficier, notamment les titres de la période Kid Amnesiac, dont la puissance live a toujours été indéniable, qui semblent moins sombres, et révèlent (en plus de leurs complexités) des aspects pop qui leur vont sacrément bien.
Ouverture sur Reckoner pour baigner dans In Rainbows en toute tranquillité, et soudainement Optimistic. A partir de ce moment-là, le groupe peut faire ce qu'il veut, la foule est sous son emprise. Les mauvaises langues, qui voient en Radiohead un groupe d'adolescents en plein spleen, trouveront Radiohead en plein délit de joie de vivre, qui s'entend dans la voix de Thom Yorke. Ceux qui les ont vus au cours de cette tournée confirmeront: le groupe n'a jamais été aussi souriant et bien dans sa peau. Cela s'entend si bien qu'on ne peut s'empêcher soi-même de sourire en entendant les chansons. L'énergie qui se dégage au cours du concert est parfaitement dosée, le groupe n'est ni un groupe de rock qui poggote, ni un groupe d'électro qui danse, mais il n'est pas pour autant amorphe et ne cherche pas juste à créer des atmosphères: il faut faire bouger les gens, les faire réagir, les faire chanter. Car malgré des textes absurdes, les fans de Radiohead connaissent généralement les paroles de toutes leurs chansons (au moins en version yaourth) et adooorent chanter avec leur groupe fétiche quand cela est possible.
Joie dans les chaumières sur 15 Step, frissons dans le dos sur All I Need/Nude, qui sont sublimement chantées, hystérie collective sur the National Anthem, le groupe ne relâche jamais la pression jusqu'à Bodysnatchers, électrisant, ressortant avec joie Talk Show Host (peu entendu en live, alors que la chanson est superbe), créant une ambiance intime sur Faust Arp et explosant sur les classiques Bends, No Surprises et Karma Police, au milieu desquels Jigsaw Falling Into Place est repris dans une version plus speed et plus rock qui sied à merveille à cette perle. Après une heure vingt de concerts, où le groupe s'est montré dans toute sa splendeur (accessible, pop mais aussi exigeant et toujours en recherche), rien ne laisse présager qu'il reste encore trois quarts d'heure de concert, et pourtant, les voilà de retour avec Cymbal Rush (un morceau issu de the Eraser, superbe au piano, sans fioritures électro), avant d'attaquer notamment Paranoid Android (le morceau sans lequel un live de Radiohead n'est pas vraiment un live de Radiohead, une véritable expérience sensorielle) ou Everything In Its Right Place (le morceau dance de Radiohead). Avant de finir en apothéose sur Idiotheque (plus basé sur sa rythmique folle que jamais), le groupe passe en revue deux morceaux sublimes: Videotape et Lucky, magnifiquement interprétés.

Critique de l'album

Tout ça est très descriptif, mais comment faire plus sur deux douzaines de titres, qui s'enchainent à merveille, avec un niveau de perfection tel que les spectateurs ne peuvent finir que bouche bée et heureux? Car Radiohead rend heureux sur ce live. Il rendra heureux les fans qui trouveront ici un concert de bonne qualité téléchargeable légalement, mais aussi tous ceux qui voudraient s'initier au groupe (il en reste?). Deux heures qui passent vite et qu'on réécoute régulièrement, en se disant que, bon sang, même quand on tresse des lauriers à ce groupe, on est encore en train de les sous-estimer.

lundi 17 septembre 2012

Television - Marquee Moon

Marquee Moon est un album un peu à part dans toute discographie. Considéré par les critiques comme un album de punk, il est bien difficile de ranger les 8 chansons qui composent l'album (+2 inédits et 3 versions alternatives sur la version collector hautement recommandée) dans la catégorie punk, avec des durées entre 4 et 10 minutes, des solos de guitare à tout va et une rythmique bien plus lente que celle des Ramones et autres Sex Pistols. Pour autant comment qualifier cette musique?

Critique de l'album

Et bien, dur à dire. Ce qui frappe aux premières écoutes, c'est la section rythmique qui sert à merveille les circonvolutions de guitares, comme si la musique était un grand tourbillon. Un peu comme l'hypnose des musiques psychédéliques? Oui, il y a de ça, et l'influence de Arthur Lee et ses Love est palpable sur le jeu de guitare de la bande de Tom Verlaine, mais pour autant, ce n'est pas une musique enlevée comme le rock psyché, qui offrait une hypnose en pleine montée. La musique de Television file un sacré vertige et ressemble plus à une chute sans fin, dont l'impact sur terre serait effectivement la rage punk. Car entre temps, il y a eu le Velvet Underground qui a quelque peu changé la façon de concevoir la musique. Alors oui, entre Love et le Velvet, on retrouve les premières influences de ce Marquee Moon.
Mais les influences ne sont pas la musique. Car le groupe a son propre son, sa propre construction, ou plutôt sa propre déconstruction. Servie par des riffs de guitare à se damner de bonheur, chaque chanson fait semblant de ressembler au format pop pour mieux s'en affranchir et prendre son propre chemin. Cette façon de se perdre et ce vertige sont accentués par la voix blanche de Tom Verlaine, qui proclame ses textes autant qu'il les chante. En même temps, et dans la même ville, David Byrne chante Psycho Killer avec la même voix inqualifiable, sans qu'on sache qui a influencé qui. Cette approche quasi martiale du chant et de la musique, et cette énergie brute et qui dégage une sorte de lumière froide, évoque Joy Division. Pour autant, on n'est pas dans un monde aussi dur que celui de Ian Curtis. Car la musique de Television a suffisamment emprunté au psyché pour ressembler à un groupe de rock qui reprendrait, toutes guitares dehors, des œuvres de musique classique réécrite par un jazzman fou (disons Coltrane période Love Supreme).
Et l'album de devenir par lui-même un classique instantané. Chaque chanson amène son lot de plaisir. Depuis See No Evil, sorte de cri primaire, où Television nous ouvre les portes de son univers, à Torn Curtain, déchirant et plein de spleen, l'album s'offre aux auditeurs, avec toute sa liberté, mais en enchainant l'auditeur aux cordes tressées par les virevoltantes guitares du groupe. Venus fait frémir de plaisir, Friction et sa montée de fièvre, Elevation qui nous permet de nous remettre de la baffe provoquée par les 10 minutes de Marquee Moon (le sommet de l'album), Guiding Light en plein délire Velvet, et Prove It en duo où voix et guitares se répondent. Les différents instruments du groupe sont en symbiose totale sur chaque titre, la section rythmique ne perdant jamais de son intérêt face au jeu de guitare pourtant hallucinant de Lloyd et Verlaine. L'inédit Little Johnny Jewel est le single que le groupe avait sorti l'année précédente et ne manque pas d'intérêt, ressemblant à du Captain Beefheart mais en audible, un très beau moment. L'instrumental vient prouver l'influence de Love.

Critique de l'album

Voilà un album qui fait le pont entre les plaisirs hypnotiques du psychédélisme et les souffles glacés de la new- et de la cold-wave, en plein crash punk. Quelque part entre deux courants d'hier, mais qui trouve encore de très belles résonances aujourd'hui. Un album auquel on ne pense pas tous les jours, mais qui procure un plaisir d'une telle intensité quand on l'écoute qu'on ne peut s'empêcher de reconnaitre son pouvoir de séduction.

vendredi 14 septembre 2012

Owen Pallett - A Swedish Love Story EP

Alors forcément, en 2010, on est tous tombés amoureux de Heartland, l'album sublime que nous a livré Owen Pallett (anciennement connu sous le nom de Final Fantasy), auteur-compositeur-interprète de génie en solo, mais aussi superbe arrangeur chez les autres (les cordes chez Arcade Fire ont été arrangées par lui, rien que ça). Oui, et donc cet album, on le connait tous. Mais en 2010, le bonhomme s'est aussi permis un petit extra, cet EP de quatre titres + un remix: A Swedish Love Story.

Critique de l'album

Y a-t-il beaucoup à dire sur uniquement quatre titres? Oui, car quand il s'agit d'un artiste de la trempe de Pallett, chaque titre est une petite merveille. Alors, c'est vrai qu'en quatre titres, il ne crée pas l'effet album avec toute la cohérence que cela implique. Les chansons ne s'enchainent pas avec autant de facilité qu'elles pouvaient le faire sur Heartland. Cependant, impossible de bouder son plaisir à l'écoute de chacun de ces titres.
Pallett vient nous cueillir là où il nous avait déposé à la fin de Heartland, sur un nuage, et reprend les choses là où elles en étaient, avec un premier titre, A Man With No Ankles, qui n'aurait pas vraiment dépareillé sur l'album. Violon en boucle et virevoltant, voix aérienne, mélodie parfaite, la chanson est une nouvelle perle sur le collier à multiples rangées que le petit père a commencé à créer. Mais malgré l'aspect si bien connu, une petite touche nouvelle vient faire son apparition sous la forme d'un synthétiseur, qui s'intègre parfaitement soit dit en passant. Et la suite est à l'avenant; avec un Scandal At The Parkade, tout en violon bouclé et en pizzicato, comme si Owen Pallett avait voulu faire une chanson à la Andrew Bird (le son est vraiment proche), et après tout pourquoi pas? On peut difficilement faire référence plus élogieuse pour un violoniste. Et la chanson serait très à l'aise dans un album de l'oiseau de l'Illinois, car elle est une réussite de bout en bout. Sur Honour The Dead, or Else, on retrouve le synthé qui vient créer les nappes sonores de fond qui servent à la trame de la chanson. Un violon aurait pu créer un effet relativement similaire, mais le synthé et les percussions viennent créer une atmosphère qui convient parfaitement au chant de Pallett, tout en finesse, légèrement maniéré, mais jamais ampoulé, quelque part entre Jeff Buckley et Kate Bush, si tant est que cette union ait un sens. Enfin, Don't Stop vient conclure ces quatre nouveaux titres. L'auteur nous sert une rythmique syncopé, ce qu'on ne lui connaissait pas, comme s'il faisait une sorte de hip-pop, sur laquelle son violon trouve l'adéquation parfaite, tandis que sa voix prend un contre-temps qui vient assagir l'ensemble et nous emmène tout là-haut.
Pour finir, Pallett a joint en bonus track un remix de The Great Elsewhere (certainement une des plus belles chansons de ces 5 dernières années) par Son Lux, bidouilleur électro post-rock proche de Sufjan Stevens. Le remix ne vaut pas l'original, loin s'en faut, mais n'est pas désagréable pour autant et vient conclure l'album en légéreté. Reste que les quatre titres qui précédent nous ont procuré un bonheur intense, avec une virtuosité déconcertante, mais la virtuosité n'écrase jamais pour autant le plaisir pop qu'il y a derrière les chansons, parfaites dans l'univers Owen Pallett, comparable à nul autre.

Critique de l'album

C'est vrai qu'un EP n'est pas un album, et on ne trouve pas ici l'amplitude des albums de Pallett (sous ce nom là ou sous le nom de Final Fantasy) qui fait qu'on les réécoute régulièrement et en boucle, cependant, sur ce Swedish Love Story, il n'a jamais semblé aussi pop et aussi simple, et on entrevoit en outre une nouvelle voix, avec l'utilisation d'élément électronique, qui se marrie à la perfection avec sa musique pop baroque. Une bien belle façon de patienter jusqu'au prochain album (enfin dans pas trop longtemps quand même, hein?).

lundi 10 septembre 2012

The Beatles - Rubber Soul

Il fallait que ça arrive. Il fallait bien que le hasard me pousse un jour à chroniquer un album des Beatles. Exercice difficile, car parler des Beatles, c'est parler d'un groupe qui historiquement a eu une important quasi-inégalable, et qui a le mérite d'être toujours aussi bon à écouter aujourd'hui. Rien que ça. Alors voilà, on est en 1965, les Beatles ont sorti Help! un peu plus tôt dans l'année, et ils enchainent avec Rubber Soul.

Critique de l'album

Rubber Soul est un album historique. D'abord parce qu'aucune chanson n'est une reprise, tout est de l'original, et pas de l'original yéyé pop à la She Loves You (pas désagréable, mais soyons honnêtes, ce n'est pas ce qui nous intéresse le plus chez les Fab Four), non, ça y est, les Beatles ont commencé à faire des chansons déconstruites et complexes. Par ailleurs, outre les titres signés Lennon/McCartney, as usual, deux titres sont de George Harrison, et (grande nouveauté) Ringo Starr participe à l'écriture d'un titre (bon, pas le meilleur, c'est vrai, mais c'est signe que le groupe a pris une sacrée confiance en lui). Et voici les Beatles dans un album de transition, entre les idées pop de leur commencement et les chansons plus expérimentales de Revolver. Sauf que là où de nombreux albums de transition sont bancales, ne trouvant pas l'équilibre entre une phase et une autre, les Beatles signent un album de haut niveau et de très belle facture.
A la tête de 14 titres impeccables de bout en bout, les quatre garçons dans le vent démontrent qu'ils en ont dans le ventre et qu'ils ne sont plus là pour être un boys band, ils sont LE groupe, celui qui allie plaisir grand public et exigence musicale. Dès Drive My Car, on entend un son plus rock que pop, les voix sont moins claires (peut-être un peu usées par le rythme de fou du groupe, auquel s'ajoute les abus de substances licites ou pas), bref le ton est donné, avec une boucle de basse superbe et malgré des "pip pip... pip pip yeah!" très yéyé. Sur Norwegian Wood, on entend pour la première fois une sitar, instrument apporté par Harrison en pleine naissance du psychédélisme. Si la chanson est une ballade plutôt classique (et très belle), elle trouve sa pleinitude grâce à l'emploi de cet instrument.Et chaque chanson pourrait être analysée de la même façon, The Word et sa rythmique déglingo, What Goes On tout plein de country, I'm Looking Through You avec son influence Dylan ou Run For Your Life plein de tambourins. Et puis, bien sûr, il y a Michelle et ses paroles en français, son intro en descente et ses chœurs si typiques, façon bal des sirènes dans Retour vers le futur, toute pleine de nonchalance, avec une légère influence soul. Ou encore In My Life, l'archétype de la chanson calme comme les Beatles les faisaient à leur début, mais avec une touche émotionnelle plus forte que jamais, peut-être dans la voix de John, son riff simple de guitare et le pont au clavecin. Et surtout Girl, l'un des plus beaux moments des Beatles, où ce qui aurait pu n'être qu'une très belle ballade prend une toute autre ampleur avec des soupirs d'une sensualité ahurissante qui viennent rythmer la chanson, suivant des Oooh girl! tout joliment susurrés, inspirant, à n'en pas douter, le Je t'aime moi non plus gainsbourien.
Les Beatles s'en sont donnés à chœur joie pour livrer chacune des chansons qui composent ce Rubber Soul et George Martin contribua à donner un son d'ensemble qui fait que cet album est immédiatement reconnaissable et bien différent de tous les autres. Tout en gardant un format propre à celui des premiers albums (une seule chanson dépasse les 3 minutes), les Beatles commencent à inclure les éléments qui les rendront si passionnants par la suite, et la qualité des chansons, des mélodies et de l'écriture contribue à ce que l'album reste toujours aussi plaisant à écouter.

Critique de l'album

Hier, aujourd'hui et même demain, on n'a pas fini d'écouter cet album (dans sa version anglaise bien sûr, pas la version américaine avec son horrible pochette) car il est, dans sa simplicité et son tout début de recherche, un classique instantané, où chaque chanson fait mouche et vient prouver la supériorité inégalée de ce groupe, qui trouvera son apogée dans les 3 années qui suivirent.

vendredi 7 septembre 2012

Other Lives - Tamer Animals

L'an dernier, un petit groupe folk révolutionnait le genre avec un album de folk atmosphérique et légèrement psychédélique, sous des aspects plus classiques. Other Lives est rapidement devenu un album qu'on écoute en boucle, jusqu'à être, au fil des écoutes, un indispensable des ces dernières années.

Critique de l'album

Pourtant, au début, on n'imagine pas que l'album puisse avoir une telle ampleur. Aux premières écoutes, les lignes mélodiques ne ressortent pas immédiatement, et on a un peu l'impression de se retrouver face à un disque pondu par des fans de Fleet Foxes, mais qui auraient tout ralenti. Car la musique de Other Lives n'est pas des plus entrainantes, elle est globalement très atmosphérique, un peu à la façon des petits pères de Sigur Ros, influence assez peu contestable de ce disque. Une certaine originalité dans le monde folk, et qui fait mouche sur les titres de ce Tamer Animals, petit album en apparence, mais à l'immensité insoupçonnée.
On se laisse donc porter par les atmosphères du quintet d'Oklahoma en répétant les écoutes, car la sensation qui s'en dégage est tout à fait délectable. Puis au fil des écoutes, des lignes mélodiques indéniables se détachent et on finit par se demander comment on ne les a pas perçus dès le début tant elles semblent évidentes, et surtout tant elles sont belles. L'orchestration apparait plus nettement comme des petits bijoux de précision, car chaque chanson est finement ciselée et se démarque à merveille. Pour autant, l'unité de l'album demeure, avec un son reconnaissable immédiatement. En l'espace de 45 minutes, Other Lives a signé un album qui n'a pas son pareil et qu'on a envie d'écouter dans son intégralité et non pour un hit single potentiel. Certes, il y a For 12 et Tamer Animals, les deux morceaux avec le plus gros potentiel à single (et force est de reconnaitre qu'ils sont réussis), mais tous les morceaux ont leur intérêt et on ne peut pas imaginer que l'album ait pu être construit différemment.
Rapidement, on identifie aussi de nombreuses autres influences, comme Enio Morricone et ses chevauchées fantastiques (qui auront inspiré de nombreux artistes ces dernières années des Last Shadow Puppets au Rome de Danger Mouse), ou encore Philip Glass et ses boucles virevoltantes et haletantes. Les fans de série retrouveront même une surprenante référence au beau travail de Bear McCreary sur Battlestar Galactica. Et puis pêle-mêle, on entend le son de Radiohead période Kid A, le folk de Midlake ou le phrasé de the National. Bref, le folk d'Other Lives a su utiliser des sons électroniques pour créer des nappes sonores autant que des instruments classiques pour donner une atmosphère qui oscille entre le grandiose et l'intime au fil des titres. Le tout est soutenu par une voix superbe qui entraine l'auditeur dans l'univers que le groupe a défini.

Critique de l'album

Depuis sa sortie, et le choc de la première écoute passé, il semblerait que chaque nouvelle écoute de cet album le rende encore meilleur. A écouter aussi bien tranquillement au fond d'un canapé que dans une voiture en scrutant les paysages, l'album s’accommode de toutes les atmosphères, car il crée la sienne, une atmosphère si forte qu'elle s'impose sur ce qui nous entoure, impossible d'y échapper. Parfois, avant de réécouter l'album, je me dis que je ne vais plus être surpris, mais il suffit que commence Dark Horse pour que je rentre immédiatement dedans, et puis Dust Bowl III fait courir les frissons, puis la fièvre me prend sur Old Statues et la sensation de bien-être ne s'arrête que sur Dust Bowl. Il me faut alors faire une chose: réécouter l'ensemble.

mercredi 5 septembre 2012

Blur - Think Tank

Nous sommes en 2003, la vague Britpop est passée depuis un petit bout de temps, et si Oasis ne l'a pas compris, Blur s'est attelé à prendre un virage musical depuis quelques années, jusqu'à ce Think Tank qui a autant à voir avec la Britpop qu'un végétarien a à voir avec une côte de bœuf. Pour quel courant alors? Difficile à dire.

Critique de l'album

Car il y a dans cet album et ces 14 titres (en comptant le caché Me, White Noise) une multitude de genres. Graham Coxon, principal guitariste du groupe, ne participant pas au projet, le groupe se trouva alors principalement investi par un Damon Albarn splendidement inspiré. Nouveau projet solo du bonhomme? Pas tout à fait, car la section rythmique (Alex James et Dave Rowntree) s'investit alors plus que jamais. Mais force est de reconnaitre qu'on retrouve dans Think Tank une bonne partie de ce qui fait l'essence de Gorillaz (le hip-hop mis à part, quoique le phrasé du génial Brothers and Sisters...). Il est ici question de mélanger la pop, le rock, l'électro, la world music, le dub ou encore le jazz et de passer le tout au shaker pour obtenir un mélange détonnant. Oui, c'est bien le même genre de cocktail que Albarn nous a servi deux ans avant avec Gorillaz (l'album).
Albarn dévoile chez Blur ce qu'il n'avait pas trop fait jusqu'ici dans le cadre du groupe: sa culture musicale dont l'étendue est impressionnante. Elle lui permet tous les mélanges et toutes les folies, alliant au sein de l'album tendresse et explosion. 13, le précédent album du groupe, avait déjà fait ce mélange, mais avec des passages de l'un à l'autre parfois un peu difficiles, l'album était plus âpre. Dans Think Tank, il y a, malgré le mélange des genres, un son d'album, une véritable unité, pas liée aux genres, pas liée au chant (très changeant et à l'aise dans tous les styles), mais simplement parce que l'album se tient vraiment de bout en bout et tout s'enchaine parfaitement.
Loin du format couplet-refrain-couplet-refrain développé par Blur au début de sa discographie, le groupe explose les formats, privilégiant les ambiances et les boucles musicales, tout en conservant des lignes mélodiques superbes. Dès l'ambiante Ambulance, on se laisse aller, avant d'être porté par les instrumentations orientales de Out of Time (une chanson sublimée par le chant tout en grâce de Damon Albarn) et l'album annonce une ambiance lente que vient rompre Crazy Beat. A partir de là, tout va s’accélérer, et on perd (avec bonheur) tous nos repères. Good Song et Battery In Your Leg reprennent les choses là où Robert Smith les a laissé 3 ans plus tôt avec Bloodflowers. Jets se lance dans le free jazz. Entre temps Moroccan Peoples Revolutionary Bowls Club ravive la mémoire des Clash. Le morceau caché Me, White Noise est un pur délire électro-bruitiste, absolument jouissif, qui donne envie de se jeter sur un dancefloor en hurlant. Mais ne pas citer les autres morceaux serait criminel, car chacun est un petit bonheur, l'ensemble annonçant le chef d’œuvre Demon Days, où Albarn secondé par le génialissime Danger Mouse brillera de mille feux.

Critique de l'album

Tous ceux qui avaient enfermé Blur dans le carcan britpop et se contentaient de leur (très bon) best of auront l'occasion de réviser leur jugement au détour de chaque chanson qui compose ce Think Tank. Pour preuve de l'évolution du groupe, alors qu'il était un des plus médiatiques du moment, et un des plus commerciaux, la pochette (superbe) est signée Banksy, le graffeur underground anti-système au possible. Comme quoi, on peut allier exigence artistique et popularité.

lundi 3 septembre 2012

Nina Simone - Four Women

Oui, me voilà pris en flagrant délit de chronique non d'un album mais d'une collection. En effet, avec ce Four Women, ce n'est pas seulement un album de Nina Simone qu'on découvre, mais l'intégralité de ses enregistrements chez Philips. Soit l'équivalent de 7 albums ou 75 titres. Rien que ça. Et quand on a envie de découvrir cette immense artiste, 75 titres, c'est bien le minimum qu'il faut.

Critique de l'album

Nina Simone est associée de manière traditionnelle à la musique jazz, et est reconnue comme une des grandes voix de ce genre. C'est parfaitement vrai. Mais c'est réducteur. Car au cours de tous ces titres, on prend aussi la température d'une chanteuse dont le registre est beaucoup plus large, s'étendant sur le blues, le gospel, la pop, le folk ou le rythm'n'blues, voire des reprises de chansons françaises. Il semblerait que la voix et l'interprétation de miss Simone n'ait pas de limite, elle est à l'aise dans tous les styles.
Elle sait mettre le rythme là où il faut, ou au contraire briser une rythmique par ses silences. Cela semble d'une telle évidence chez cette grande dame qu'on ne peut que s'esbaudir. Mais sa science rythmique n'est qu'une partie de son talent qui passe aussi par une sensibilité à fleur de peau. Sur 3 minutes 30, avec sa reprise de Strange Fruit, Nina Simone met une conviction désarmante dans son interprétation et nous file des frissons de bout en bout. Cette fervente défenseure des droits civiques trouve dans cette chanson une forme d'apogée, les fruits étranges étant les noirs lynchés aux arbres dans le sud des Etats-Unis. On sort de ce titre déchiré.
Mais le titre qui le suit, Sinnerman, arrive à faire sortir de la torpeur pour entrer dans la transe, pendant 10 minutes, pas moins. C'est ça la force de ces 75 titres, c'est de passer d'une émotion à l'autre. Par ailleurs, les passionnés de musique s'amuseront à reconnaitre les multiples samples tirés de ces chansons (Sinnerman chez Abd Al malik) ou les reprises faites par d'autres artistes (See-Line Woman repris en Sealion chez Feist), mais aussi toutes les reprises faites par Nina Simone et qui trouvent souvent leur version la plus convaincante chez elle plutôt que chez d'autres interprètes (Feeling Good trouve ici sa version la plus incroyable, ce qui n'est pas peu dire), même si cela n'est pas toujours vrai (Ne me quitte pas ne sera jamais aussi belle que chantée par un Brel en sueur à l'Olympia).

Critique de l'album

Bref, ces enregistrements sont aussi bien à recommander pour les novices qui y trouveront de facto un best of de ces années Philips en même temps que l'intégralité des enregistrements, ce qu'apprécieront les aficionados. Il sera bien difficile de rester de marbre devant tant de talent.